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MEMENTO

Est-ce inconscient ou malin? Toujours est-il que la sélection cannoise 2002 tissait un fil invisible entre ses films en voguant sur le thème de la mémoire. Ironiquement, le favori pour la Palme s'intitule L'Homme sans passé. Tous les cinéastes, tel un orchestre symphonique, se sont concertés intuitivement pour se pencher sur le passé, les racines, les souvenirs. Certaines oeuvres dialoguent même entre elles.
Kedma introduit Intervention divine dont les (non) réponses sont issues d'Ararat. De même Egoyan trouve un écho troublant dans le Polanski. Chacun questionne ses origines, ses dilemmes, sa propre identité et surtout son appartenance. Qui sont-ils aujourd'hui quand seul un lointain passé les unit, les motive?
Mais l'Histoire est aussi présentée comme un album d'illustrations au service d'un musée d'images qu'on nous laisse en héritage. Sokurov (Russian Ark), Palanski (The Pianist), Egoyan (Ararat), Gitai (Kedma), et Kwon -Taek (Chihwaseon), mais aussi Mireilles (Cidado de Deus) et Garcia (L'Adversaire) sur des faits divers marquants, permettent un retour en arrière classique ou psychologique.
La psychologie est un aspect à ne surtout pas mésestimer. Fouiller son subconscient, retrouver les stigmates de son vécu, mettre en perspective ses amnésies et ses erreurs reflète le parcours d'individus qui interpellent leur futur en remuant le passé. Une initiation par flash-back. Le mystérieux Castellito se remémore le sourire de sa mère en se lamantant d'avoir le même. Aznavour, légendaire Soroyan, filme un génocide pour comprendre d'où il vient. Le schizo Fiennes rassemble les pièces d'un puzzle d'une mémoire décomposée. Déluré et fantasque, Coogan s'introspecte les bons moments de sa folle épopée du punk-pop. L'homme sans nom, peltola, a effacé aussi le numéro de sécu, la date de naissance et il essaie malgré tout de reconstruire sa vie, vierge de traces. Le papy Nicholson revient sur les lieux de son enfance pour évaluer le parcours pathétique de son existence. Gourmet - rien à voir avec des boîtes de bouffe pour chats - tente le diable en se frottant à l'assassin de son fils, pour peut être passer à autre chose.
Et par le concept, Cassel et Dupontel renverse le temps pour aller chercher un peu de lumière, celle du bonheur, alors que tout est devenu enfer.
La mémoire est une obsession. Les affiches de Men II Black annoncent le retour de K, alors qu'on l'avait flashouiller pour désintégrer de sales souvenirs. Dans le II, une machine permet de retrouver ses archives persos.
Cannes 55 ne sera bientôt plus qu'une anecdote. Le temps file. Il ne détruit pas forcément. Tout est juste irréversible. Sauf quand le cinéma rebrousse bobine.

 

Courte rumeur qui court et puis qui meurt.

« Donc Irréversible, c’est pas le scandale annoncé, tout au plus une opération marketing ?
- Ben oui… c’est ce qui se dit…

Ainsi se concrétise finalement l’impact du seçond long métrage de Gaspard Noe, c’est en tout cas une retranscription texto de ce qui alimentait les conversations des festivaliers prenant le soleil paresseusement en terrasse. Précédé d’une réputation sulfureuse essentiellement axée sur la scène de viol d’un quart d’heure, plus que sur la noirceur de la philosophie du film, ils étaient donc nombreux à s’attendre à une véritable expérience.
Marketing opportuniste ? Volonté de faire monter la pression en caressant les bas instincts pour mieux vendre le film ? L’équipe d’Irréversible réunie ce matin en conférence de presse semblait confiante et complice. L’accueil des journalistes de la veille correspondait à ses attentes. Divisant la critique, l’œuvre pousse à la discussion, provoque le débat, c’était le but recherché selon la belle Monica. Aux dires de Vincent Cassel, qui s’était encore fait une nouvelle tête pour le tournage de Blueberry, la rumeur qui a précédé l’arrivée du film est née à Cannes et meurt à Cannes (elle fut aussi amplifiée par la première projection presse à Paris). Noe enchaîne, hier c’était les élections, demain on parlera de la Coupe du monde, puis du Tour de France, l’écho entourant son film se résume selon lui à une opportunité sensationnaliste fabriquée et récupérée pour remplir le planning du mainstream. Banal et sans portées. La rumeur favorise la visibilité, retient l’attention. Irréversible y gagnera dans sa promotion. En revanche il est moins évident que cela serve l’intégrité du contenu du film. Un journaliste s’élève contre la complaisance des images de l’œuvre sélectionnée en compétition officielle, qui s’oppose selon lui à toute véritable critique moralement correcte des penchants primaires humains. En gros si vous voulez traiter le sujet de la violence, faites le avec des fleurs. Le cinéaste rétorque qu’on peut montrer la violence et le sexe au cinéma, que ce ne sont que des éléments naturels de notre vie, que ce n’est pas un hasard si les gens sont attirés par la mort, par ce qui choque, éprouve nos limites. La majorité des gens s’approchent pour regarder lorsqu’il y a un accident. Albert Dupontel renchérit qu’il y a une grande différence entre montrer des images extrêmes au cinéma, lieu où l’on paye pour voir une fiction en connaissance de cause et la télé déversant des images crues et réelles qui entrent sans frapper dans nos foyers. Personne n’a été blessé sur mon tournage précise Noe.

Irréversible sera en tout cas interdit aux mineurs, la jeunesse est préservée au-delà des bruits qui enflamment les esprits. Il reste que noyée sous un déluge de sollicitations diverses et de plus en plus agressives, notre attention devient sélective ou pire inerte. Pressés par le temps, nous avons appris à ne conserver que l’essentiel, le message qui se véhicule vite et qu’on jette après usage.

  (C)Ecran Noir 1996-2002