|
|
|
|
WHAT A WONDERFUL WORLD
Ah quel monde merveilleux! Le soleil brille, le ciel est bleu, les mouettes planent, et George Lucas est dans les parages... On se sent dans une bulle en celluloïd. Si Cannes déconnecte 3000 journalistes de l'actu mondiale, les isolant dans un bunker de front de mer, le cinéma se charge de sortir l'artillerie et les explosifs qui défigurent la planète. Cette Terre n'a rien à voir avec l'Eden. Ici, les yachts et les paquebots de croisières organisées mouillent dans la baie des stars. Mais vers l'Orient, sur les mêmes rivages méditerrannéens, l'Israël et la Palestine s'affrontent. Ces pays sont au coeur des films, de la fiction.
Cette égalité et cette fraternité sont précieuses. Car à Hollywood, la peur menace. Une Association juive américaine appelle au boycott de la France (première destination touristique mondiale, d'où leur jalousie, sans doute) au nom des actes antisémites (avérés). Heureusement, un juif new yorkais assez célèbre a bravé cette interdiction pour recevoir la Palme des Palmes. On eut le droit aux larmes d'Allen. Parler de judéophobie en France serait aussi caricatural et insultant que de parler de francophobie en Amérique, malgré les railleries des cow boys. D'après le documentaire de Michael Moore, il est plus sécure de se ballader à Cannes qu'à Los Angeles.
Mais ce monde tourne mal. Il vire du côté droit de notre cerveau, vers la panic room de notre cortex. Si loin, si proche du palais aux étoiles, les autochtones boivent des bières dans des bistrots pour prolétaires. Ils s'excitent quand Zizou marque, où "léverrecussène", selon son camp. A 200 mètres des marches, les gens normaux qui n'ont rien d'exceptionnel préfèrent le petit au grand écran, le foot au 7ème Art, les cachets astronomiques des sportifs à ceux des acteurs, le short au smocking, le sponsor des uns aux sponsors des autres.
La cosmopolite Marseille et son fameux OM, si étrangère et si voisine de Cannes, port d'accueil des Arméniens d'Egoyan (souvenez-vous Verneuil), se fait déshabiller sous tous les angles par Guédiguian, des Calanques au Frioul. A 2 heures de 406, la ville de Taxi vient d'investir pour divertir et non pour intégrer: un studio de ciné. Pas loin de Tati, des Vacances de Monsieur Hulot, dont la silhouette ombre la salle des sables.
Comme Charlot fit son numéro de canne à Cannes, Woody fut convié à un plateau tout beau, tout VIP. Les ministres changent, les idées un peu moins, et les artistes briguent l'éternité. Et un jour (à Cannes). Le Festival invite donc les ronds de cuir à la langue de bois, défend la liberté de créer et celle d'expression, enfin il rend hommage aux résistants du 7ème Art : ceux qui font primer le message à l'image, le discours au slogan, le débat au contrat. Cela n'a ni religion, ni couleur, ni frontières. Le tour de monde se fait sur la Croisette en 80 films. A écouter Woody, c'est mieux que la Californie : "Hollywood? C'est une usine où l'on fabrique dix-sept films sur une idée qui ne vaut même pas un court métrage."
| | |
|
|
|
| Tout pour la musique
Epicentre festif de l’hexagone, où le temps semble subir une accélération constante (particulièrement dans le périmètre du bunker), Cannes ne va pas attendre le 21 juin pour célébrer sa fête de la musique.
Soucieux d’honorer leurs voeux d’ouverture vers le public, les organisateurs ont tout d’abord prévu d’offrir aux promeneurs quelques divertissements accessibles sans fouille au corps scannée. Aussi, il sera possible de se planter les pieds dans le sable pour écouter via les bornes musicales installées sur la croisette ses bandes originales préférées tout en prenant un bon coup de soleil (les mauvais UV se déversant exclusivement sur le Finistère si l’on en croit les infos locales de la matinée)
Plus guindé, il faudra se rendre au Palm Beach pour écouter l’Orchestre régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur (… ?), dirigé par des pointures – un bon 45 semelles compensées pour Lai et Moricone - qui ont composé pour le septième art.
Les moins pressés (ou bookés dans l’immédiat) pourront patienter jusqu’au 19 mai pour savourer l’hommage rendu aux partitions des films de Tati (ah la ritournelle de Mon Oncle…) qui est définitivement tendance cette année, puisque de Allen à Lynch (le petit chien dans A straight story, c’était à cause de Tati !!!), tout le monde se réclame du réalisateur génial et atypique français.
Dans la sélection officielle, la musique est « comme d’habitude… » une invitée de marque. Au cœur du sujet du déjà très relayé par la rumeur « 24 hour party people » de Michael Winterbottom, elle épouse le rôle de repère historique. Car il suffit souvent de quelques notes pour nous renvoyer illico presto vers des recoins embrumés de notre mémoire nostalgique, ou tout simplement donner une leçon de rattrapage convaincante à ceux qui n’y étaient pas encore. Moins onéreux et compliqué à créer qu’une reconstitution décorisante ou costumisante somme toute (en faisant abstraction des droits d’auteur).
Michael Moore bénéficie aussi d’une culture musicale appréciable qu’il sait mettre à profit à merveille lorsqu’il utilise un standard des Beatles pour servir son propos alarmiste en le nourrissant d’émotions familières. Les chansons restent un merveilleux véhicule d’idées populaire, probablement ce qui fait qu’elles soient si souvent prises à défaut par des esprits suspicieux.
C’est donc avec la reprise déglinguée de What a wonderful world par le défunt Joey Ramones que nous avons quitté la salle de projection de Bowling for Columbine profondément bouleversés, pour se retrouver coincés dans une montée de marche pré dîner de gala peuplée d’endimanchés poseurs. Car là réside la force subversive de Cannes, sous son manteau de paillettes superficielles et attractives bat un cœur militant et idéaliste.
|
|
|
| |