Notre Top 9 du Festival, par ordre de préférence
  1/ La Chambre des officiers
  2/ La Chambre du Fils
  3/ No Man's Land
  4/ Shrek
  5/ Mulholland Drive
  6/ Je rentre à la Maison
  7/ La Pianiste
  8/ Et là bas quelle heure est-il?
  9/ Moulin Rouge
 

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(C) 96-01 Ecran Noir

 
Europa Europa

Le palmarès 2001 aura fait triomphé le cinéma européen, tandis qu'on attendait la consécration de l'imposante sélection asiatique.
Mais le jury, majoritairement issu du Vieux continent ou aux alentours (hormis Edward Yang et Terry Gilliam) a préféré salué un certain type de création, et une certaine idée de la culture. Car c'est tout le système des co-productions transnationales qui a été couronné ce 20 mai au soir. Même les histoires sont profondément transfrontalières.
Tandis que les politiciens des grands pays de l'Union Européenne cherchent leur voie et surtout l'équilibre entre leurs réflexes patriotiques et une vision plus continentale, entre la culture d'une Nation et l'euro pour toute les populations, les cinéastes se sont affranchis des barrières administratives et mélangent les cultures, les langues, les nationalités.
En 2001, on peut parler de cinéma européen. Au moins jusqu'à l'étape de la post-production; la distribution en est à ses balbutiements, mais reconnaissons que les indicateurs sont plutôt bons avec les succès de films comme Billy Elliot ou Les Rivières Pourpres.
Moretti, Palme d'Or qui se finit à la frontière franco-italienne, est une coproduction franco-italienne. Haneke, déjà très cosmopolite avec son Code Inconnu l'an dernier, a fait tourner des stars françaises dans sa ville de Vienne en Autriche. No man's land réunit un casting de 5 pays, est co-produit par la Slovénie, la Bosnie, la Belgique, le Royaume Uni, et a une équipe technique belgo-bosniaque. Godard, Rivette, Kahn, Corsini ont tous été tourné dans des pays étrangers et européens, utilisés des castings internationaux, coproduits par différents pays. Au delà des aspects techniques et financiers qui croisent les langues et le sang dans un même film, les sujets sont résoluément européens; de plus en plus ils traitent de l'incomunicabilité, de la transgression des peurs par la compréhension de l'autre; ils explorent des genres universels (contes de fée, thrillers, ...) ; il y a de moins en moins de différence entre les peuples, leurs coutumes, leurs habitudes de vie; l'uniformisation commerciale a permis un rapprochement "en images" auquel le spectateur s'identifie sans difficultés.
L'Europe existe bien plus qu'on ne le dit, qu'on ne le croit. Avant même que l'euro n'arrive et unisse les citoyens, il y a ceux qui ont étudié à l'étranger, et qui parlent au moins une voire deux autres langues ; il y a les téléphones mobiles, les trains à grande vitesse, les week ends à Amsterdams et les samedis soirs à Dublin ou Londres ; il y a les entreprises qui travaillent avec les pays voisins, les chanteurs italiens qui font des tournées en Europe, les voitures françaises qui s'exportent partout, les Airbus qui sont construits en pièces détachées dans plusieurs pays.
Il était évident que le cinéma allait être symptomatique de ce phénomène. La France, par l'intermédiaire de groupes ou sociétés comme StudioCanal, Pathé, MK2, Diaphana ou Pyramide finance une grand epartie du cinéma européen, et notamment les cinéastes comme Haneke, Oliveira, Almodovar, Von Trier, Moretti, ... et même au delà de l'Oural, du Bosphore et de la Méditerrannée.
En primant aussi Lynch par exemple ou l'ingénieur son de Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming Liang, le jury a consacré le système de co-production, la sauvegarde d'un certain cinéma à la fois identitairement national et artistiquement européen ou universel. Cet éloge de la coproduction est l'apologie d'un cinéma vu comme un art et non une industrie, avec des bricolages de financements, des aides publiques et des coups de coeur de producteurs-mécènes. C'est aussi la récompense de tons et de styles, et pas forcément des plus consensuels. C'est les félicitations du jury pour des visions qui se distinguent par leurs mabitions et pour des réalisateurs qui finalement ne peuvent exister qu'avec l'aide d'une Europe qui met la culture en zone d'exception par rapports aux marchandises.
Il y a beaucoup à critiquer de ces incestes entre groupes privés et subventions publiques; Bruxelles y regarde de très près. Washington s'élève contre. Mais cela ne retire en rien que la plupart des films vus sur la Croisette, tous ceux palmés ou "awardisés", la sélection de Thierry Frémeaux, aussi cinéphile et intellectuelle soit elle, sont garant d'une diversité salutaire, d'un pluralisme nécessaire, et finalement d'une certaine protection d'un art, de ses auteurs, de plus en plus menacé. Q'on soit pour ou contre, qu'on aime ou pas ces films, ils offrent des images nouvelles, différentes, moins stéréotypées; comme un acte de résistance à une hégémonie trop homogène venue d'Hollywood. Paradoxalement, le film qui incarne le mieux ce combat, cette résistance, dans le discours, est Shrek, le film le plus typiquement commercial de cette quinzaine. Il écrabouille les contes de fée de notre enfance, les légendes nées en Europe et s'amuse à critiquer le fascisme rampant d'empires comme Disney.
Sans rancune, on aurait aimé le voir au Palmarès. Mais cette année, à quelque smois de la monnaie unique, il n'y en avait que pour l'Europe. Que les politiciens s'en inspirent. Elle sera inévitablement dans notre futur. Bientôt on ne mentionnera plus la nationalité d'un film... et ça n'aura aucune importance.

- Vincy