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| Réalisation: François Dupeyron
Production: ARP, France 2
Scénario : François Dupeyron
D'après le roman de Marc Dugain
Montage: Dominique Faysse
Photo : Tetsuo Nagata
Musique : Arvo Pärt
Durée : 135 mn |
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Eric Caravaca (Adrien)
Denis Podalydes (Henri)
Gregori Derangere (Henri)
Sabine Azéma (Anaïs)
André Dussolier (Le chirurgien)
Isabelle Renauld (Marguerite)
Géraldine Pailhas (Clémence)
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Adrien part à la guerre. Nous sommes en 1914. Ingénieur il ne comprend pas l'euphorie du moment et en profite pour s'offrir un ultime instant de répis, un repos du guerrier, avec une femme rencontré sur le quai de la gare. Le souvenir de Clémence va le hanter longtemps.
Dans les premiers jours de la guerre, lors d'une virée de reconnaissance, un obus éclate, lui déchirant la machoire droite, le nez, les lèvres, le palais. Il est transporté au Val de Grâce, pour se faire "réparer", pour survivre aussi. Il y restera tout le temps de la guerre.
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C'est sur un coup de foudre pour le livre que Dupeyron s'est lancé dans l'aventure de La Chambre des Officiers. Il a pris quelques libertés en l'adaptant, en créant Anaïs, en modifiant la fin, rendant les femmes pas seulement négatives et l'histoire pas trop pessimiste.
La fin a d'ailleurs été son principal souci. Après un premier jet, Dupeyron a appris que les droits du roman appartenaient à des producteurs anglais. Il laisse tout tomber. Mais après une première rencontre, il décide de se remettre au travail. La fin lui posait problème. Trop dépressive. Il a eu un jour l'illimination de créer une fin légère.
Il a ensuite retrouvé l'équipe de C'est quoi la vie, primé à San Sebastian mais échec public. Un casting magnifique, avec notamment l'un des couples les plus notoires du cinéma français, Dussolier et Azéma, qu'on verra cet automne dans Tanguy de Chatilliez. Caravaca a été aussi remarqué chez Lvovsky. Podalydès, sociétaire de la Comédie Française, à l'affiche cette année du "bouffoneux" Revizor de Gogol, a été vu chez son frère (Bruno), Raoul Ruiz, Guediguian, Deville... Isabelle Renauld s'est offert un parcours chez Angelopoulos, Mikhalkov, Planchon, Breillat, Chéreau... Pailhas était l'héroïne de Peut Etre de Klapisch et du Garçu de Pialat.
C'est la première fois que Dupeyron vient avec un film à Cannes. Son premier film date de 1988. Il était produit et intreprété par Depardieu et Deneuve. Drôle d'endroit pour une rencontre a été un des chocs de l'année, avec un scénario brillant, une réalisation étonnamment mature, mais un tournage cauchemardesque.
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LA MACHOIRE D'ADRIEN
"Bien respirer. Bien manger."
Annonçons le dès maintenant. La Chambre des Officiers ne sauve pas seulement la représentation de la France à Cannes, ne fait pas juste oublier l'absence omniprésente d'Amélie Poulain. Le nouveau Dupeyron est une Palme d'Or idéale, à la fois populaire et artistiquement ambitieuse.
Il s'agit de l'histoire d'un homme qui n'a pas de haine dans ses yeux et qui part à la guerre, contre son gré. Il aime trop la vie. Dès les premiers jours, il va voir sa guerre se terminer par un obus venu de nulle part. Il va donc devenir un héros alors qu'il n'en est pas un. Il sera défiguré, et donc dévisagé constamment, et devra accepter le regard des autres, ceux qui se détournent et ceux qui voient au travers des yeux. Il oscille entre le refus de cette tête sans visage et la détermination à se faire accepter par les autres. Au temps de la beauté, que l'éloge de cette laideur accidentelle fait mal.
Car tout le film est bouleversant. De l'allégresse extérieure précédent la guerre à cet enfermement protecteur où il fera sa propre guerre (contre ses nouveaux démons, contre le souvenir de son apparence, pour une nouvelle vie), Adrien nous guide dans une épopée immobile. L'esprit qu'on retrouve dans les dialogues permet d'alléger la douleur. La mise en scène, toute en pudeur, ne dévoile le carnage des chairs et des os meurtris que lorsqu'Adrien parvient à se voir. Jusque là, tout en sons et cadrages intelligents, le monstre est suggéré. D'ailleurs, Dupeyron n'hésite pas à relativiser immédiatement son horreur faciale en le plongeant dans une salle remplie d'estropiés, de momies ambulantes, de soldats ensanglantés.
Dupeyron brosse à ce titre une illustration sublime de l'époque. La monochromie des images, les tableaux reconstitués, la musique en adéquation parfaite rendent La Chambre des Officiers plus grand que la vie. La Vie et rien d'autre d'ailleurs pourrait être le titre de ce film sur l'espoir, la renaissance, la reconquête. Tout le mon,de répète "Ca ne devrait pas durer longtemps". mais tout prend du temps : la guerre, les opérations et la cicatrisation,l'envie de vivre, le désir retrouvé...
L'émotion est à fleur d'os. Tous les détails comptent : le retrait des mirois pour que le spectateur s'habitue à l'intolérable. Mais Dupeyron est sadique : en un plan, il nous remémore la scène de l'obus, sans nous la montrer. En quelques gargouillements de bébé il fait écho à ce mort-vivant nommé Adrien qui ne pouvait plus parler. Tout est suggéré : l'athéisme rampant, le cynisme politicien, le scientifisme béat... Ce sont des cobayes, des Elephant man, dont la pire souffrance est souvent psychologique plus que physique. Autour d'Adrien, Dupeyron place 2 hommes (l'un spirituel, l'autre obsédé sexuel) et une femme qui définissent sa personnalité et ses propres limites. Il remplace une mère affreusement maladroite par une infirmière délicieusement compassionnelle (Azéma merveilleuse). La Piéta de Michel Ange inspire cette scène où Adrien songe au suicide et s'écroule dans ses bras.
Chaque personnage (et chacun des brillants comédiens) renvoie le reflet de la douleur de l'autre. Ce film n'est pas pacifiste, il lutte contre toutes les haines ordinaires. Celle du mépris des gens socialement corrects comme celle de la guerre qui fauche un ami. Cette interrogation sur le sort et le hasard, sur ceux qui restent en vie, même amochés, et ceux qui meurrent, sur le désarroi de ceux qui regardent les monstres et la tranquille assurance de ces têtes transformées, trouve une réponse simple et heureuse avec un amour inattendu. Il a recomposé sa famille. Aux honneurs du début, dérisoires, il préfère la beauté d'une femme, essentiel. "T'es pas mal de dos", lui dit-on. C'est dans ses silences, ces images qu'on devine mais qu'on ne voit pas, dans ces instants de grâce et ces élans de rage intérieure, que le film prend toute son ampleur, fouillant chaque recoin de la conscience d'un homme. Il explore, comme à son habitude, l'existentiel, l'humanisme et profite d'un huis-clos pour observer ses cobayes, comme le chriurgien expérimente de nouvelles méthode de greffe. Ici, la greffe entre un cinéma magnifique visuellement et une histoire intime et si personnelle a plus que réussi. Dupeyron a signé une destinée sentimentale magistrale et inspirée. Un grand moment de cinéma.
Vincy- |
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