Du droit d’écrire.
Du soleil californien au ciel bleu cannois, il n’y a que 10000 kms, quelques heures de vol, et les mêmes palmiers, appartements pour retraités, et joggers du soir... Tandis que les scénaristes hollywoodiens sont parvenus à un accord de paix avec les studios, le Festival de Cannes s’ouvre sans polémiques. Ou presque. Des droits revendiqués par les créateurs aux droits que s’accordent certains gratte-papier, Cannes se retrouve à gérer du macro-économique et du micro-médiatique.
Moulin Rouge, compil et synthèse de l’air du temps
Les droits d’auteur sont au coeur des enjeux macro-économiques. Par exemple, « Baz » , le cinéaste néo-zélandais de Moulin Rouge, n’a pas pu acquérir tous les droits pour des chansons qu’il avait voulu intégrer dans son film. On comprend aussi pourquoi Sony, Vivendi Universal ou AOL Time Warner - ces deux derniers ayant été constitués ces 18 derniers mois - cherchent à s’implanter dans tous les domaines du divertissement : ils veulent tous les artistes en catalogue, de manière à piocher dans cette « multimédiathèque » quasiment universelle avec pour seul objectif de contrôler les droits. A l’heure où la création exploite de plus en plus des matériaux anciens (le sampling en musique, les remakes pour les films ...), il est essentiel pour ces conglomérats de posséder le patrimoine artistique et de le ré-utiliser à l’infini.
Le film d’ouverture est un drame musical. Typiquement anglo-saxon, voire profondément hollywoodien. Malgré le titre « Moulin Rouge » n’a rien de français, c’est une représentation d’un univers parisien pittoresque et recomposé. Il exploite une bande originale de tubes mémorables, toutes époques confondues, la plupart anglophones. Bref, un film de divertissement, avec un style certes singulier, mais surtout une création typique mélangeant des airs déjà entendus à des images devant nous éblouir. Des stars, des hits compilés, et un budget considérable. (notons que la Palme d’Or 2000, Dancer in the dark, était aussi un drame musical mais une création européenne, avec un message politique, et des chansons créées pour le film, en l’occurrence l’album de Björk, « Selmasongs ».)
C’est en cela que Moulin Rouge est un produit de studio, la Fox. C’est assez révélateur de cette nouvelle édition : Hollywood is back on the Croisette.
Cannes n’a pas le choix. Avec des multinationales contrôlant la plus grande partie de la production cinématographique (tous les grands groupes ont aussi des filiales art et essai qui financent les Coen, Lynch, et autres) il était primordial pour le plus grand festival du monde de ne pas tourner le dos à Hollywood.
Amélie, coupable d’être absente ?
Aujourd’hui, « Libé » a provoqué vainement une polémique autour de la non sélection du Jeunet (abondamment expliquée et justifiée par Jeunet comme par le Festival) ; pourquoi ce genre de petit scandale n’a pas lieu quand il s’agit d’un film made in Hollywood ?
Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain aurait été un magnifique film pour Cannes, il est donc compréhensible qu’on s’interroge ; mais il y a toujours des actes manqués, des mauvais concours de circonstances, des hasards qui font qu’un Festival a ou n’a pas le film de l’année. En même temps, en 2000 Cannes a eu les avant-premières de Yi Yi, In the Mood for Love, Tigre et Dragon, ...
Cette année, on devrait se réjouir de voir un dessin animé comme Shrek ou le nouveau Lynch ou encore tous les films qui créeront admirablement la surprise des festivaliers. Tant pis pour Amélie... Tant mieux pour Moretti et Imamura...
Amélie n’aurait peut être pas eu la Palme et on aurait été déçu. Amélie est un formidable succès populaire, et c’est le plus beau cadeau qu’on pouvait rêver pour elle. C’est même cela qui compte. Amélie n’a pas eu besoin de Cannes pour séduire. Mais Cannes, qui a bien conscience que les timings n’étaient pas les mêmes pour le distributeur, se rattrapera avec une séance plein air et grand public. Finalement n’est-ce pas le meilleur hommage possible ? Une projection généreuse, distinguée et pas guindée.
A chacun son métier...
Il n’y a donc aucune polémique, si ce n’est celles des fantasmes de journalistes frustrés de ne pas pouvoir agir sur la sélection. Le critique ne veut plus subir le choix d’un délégué général, il veut l’influencer. A chacun son métier, celui du journaliste de cinéma est de voir les films, de les aimer ou pas, et surtout de ne pas juger dès le premier jour un Festival qui essaie de s’adapter intelligemment à un environnement économique et artistique en pleine mutation.
VCT.