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La grande séduction (La grande séduction - La grande séduction)
Quinzaine des réalisateurs - Compétition
Québec / sortie le 28 avril 2004
INSECURITE SOCIALE ET ORDONNANCE DE RIRE
"- Le cricket? Moi, déjà, le sushi j'trouve ça limite."
Le film de Pouliot regarde assurément vers un
cinéma traditionnel, classique, fondé sur la
force de son histoire et sur un regard honnête
sur l'humain, et ses défauts. Il ne faut pas y
chercher une quelconque audace cinématographique.
Mais à l'inverse des films français qui ont
tendance à verser dans une nostalgie
compassionnelle et désuette, La Grande Séduction
s'affirme résolument moderne et tourné vers
l'avenir. Nous sommes dans une famille étrange du
cinéma, portant un point de vue sur la société
(et notamment la fameuse dimension sociale), ici
dévastée par le libéralisme, les délocalisations,
et finalement le poids de la dépendance de
l'Etat. Mais cette famille étrange ne se contente
pas de révéler les contradictions d'un système et
la misère de ceux qui le subissent. C'est aussi
un cinéma politiquement optimiste, car impliqué
dans son avenir, engagé dans son combat, positif
et déterminé. Ces gens-là veulent revivre,
refaire l'amour, sauver leur village de 280 âmes,
à défaut de sauver leur âme dans un Québec sans
maire, sans curé, sans médecin.
En cela nous sommes plus proches d'un cinéma de
Marcel Pagnol que d'un film de Vittorio de Sica.
La faconde et la mauvaise foi l'emportent sur le
réalisme et le désespoir. On fait plus appel à
l'humour latin (Scola) qu'à la critique
intellectuelle (Cantet, Loach) parce que le film
s'appuie sur la collectivité (et son entraide) et
non l'individualité.
Ce portrait saisissant d'un village oublié du
monde en mouvement démontre à quel point les
théories économiques (entre l'autonomie des
libéraux et le l'assistanat des socialistes) sont
obsolètes. Mais cela prouve aussi qu'il n'y a pas
de fatalité au destin. A ceux qui se retrouvent
sur le carreau, qui sont exclus, La Grande
séduction leur rappelle que rien n'est écrit
d'avance et qu'il faut savoir se remettre en
question tout en s'adaptant au système. Parfois
la machine économique nous rejette parce que nous
refusons de la voir pour ce qu'elle est. Une
force, un moteur et non pas simplement une
machine à broyer de l'individu. Le film est un
éloge du travail mais aussi de l'apprentissage et
de l'utilitarisme.
Evidemment, vu comme ça, il n'y a rien de sexy. A
l'instar du Docteur Lewis, on préfèrerait rester
devant un film américain, comme lui semble
accrocher à sa vie citadine. Mais La Grande
séduction sort le grand jeu pour nous appâter
avec de la dérision, de l'absurde, de l'humour et
des bonnes trouvailles. Avec un scénario riche en
anecdotes et en séquences drôles, en répliques
surréalistes et en retournements de situation,
nous assistons à un film burlesque et cynique. Ce
qui amuse c'est évidemment cette lâcheté
permanente, ces mensonges sans conséquences, ces
tricheries justifiées. En droite ligne des
comédies italiennes ou de celles d'Yves Robert,
Jean-François Pouliot sait nous embarquer dans
cette histoire sympathique, avec une empathie
naturelle pour ces protagonistes. Le final
semblera tout aussi ironique : travailler pour
faire du tupperware à la chaîne et faire 500
mètres à pieds jusqu'à son chalet, cela valait-il
tout cela? On passe d'une aliénation à l'autre,
mais aussi de sa place dans la société à une
autre, du méprisé à l'existant. C'est bon pour le
moral. Et ça n'empêche pas le cinéaste de
s'offrir une séquence inoubliable (et très belle)
d'un match de cricket entre bouseux, perdu au fin
fond d'une île rocailleuse. L'ampleur du film
croise alors l'ambition de ses personnages. Et
nous, spectateur, nous sommes évidemment séduits.
Vincy
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