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Production : Sacher films Réalisation : Nanni Moretti Scénario : Nanni Moretti, Francesco Piccolo, Federica Pontremoli Photo : Arnaldo Catinari Distribution : Bac films Musique : Franco Piersanti Durée : 112 mn
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Nanni Moretti : Le caiman
Silvio Orlando : Bruno
Margherita Buy : Paola
Daniele Rampello : Andrea
Giacomo Passarelli : Giacomo
Jasmine Trinca : Teresa
Michele Placido : Marco Pulici
Paolo Sorrentino : le mari (Aidra)
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Le caïman (Il caimano)
Sélection officielle - Compétition
Italie / sortie le 22.05.06
Le caïman, le nouveau Nanni Moretti, sera présenté à Cannes en dehors de toute polémique, enjeu politique ou même souffre critique. La presse italienne pourra zapper la projection. Le film, premier au box officie italien la semaine de sa sortie, a déjà rapporté 6 millions d'euros dans son pays; mieux, à l'instar de tous les films italiens récompensés sur la Croisette ces dernières années (à commencer par La Vita è bella en 1998, Grand prix du jury, mais aussi La Chambre du fils, du même Moretti, Palme d'or en 2001), ce Caïman a été le favori des David di Donatello (les Césars transalpins) : meilleur film, réalisateur, acteur (Silvio Orlando), musique, producteurs, son. Sans oublier les nominations : actrice (Margherita Buy), photo, costume, direction artistique, scénario, second rôle masculin (Moretti), second rôle féminin (Jasmine Trinca)...
Comme Volver, il y a pire départ pour arriver sur la Croisette : le public local enthousiaste, la critique dithyrambique, le palmarès cannois du cinéaste : Journal intime (Prix de la mise en scène en 1994), Ecce Bombo et Aprile (en compétition officielle). Membre du jury (en 1997), Leçon de cinéma (2004), il est sans aucun doute le réalisateur italien le plus fidèle de Cannes depuis les années 90.
Dans le feu de l'actualité.
Mais pour la première fois, l'autarcique Moretti n'est pas le rôle principal et l'oeuvre n'a même rien de narcissique. Cette satire anti-Berlusconi arrivera après la bataille : le Président du conseil Italien et patron de l'empire médiatique Mediaset a été déchu, de justesse, par les élections d'avril. Avec 2 sièges d'avance au Sénat et à peine 0,1% des votes en sa faveur, Romano Prodi (centre gauche) l'a emporté sur le populiste Berlu (déjà l'objet de nombreux documentaires contre ce qu'il représente). Le film, tourné l'an dernier, est sorti deux semaines avant le vote. On ne peut pas dire qu'il ait fait une grande différence malgré son indéniable succès populaire. Moretti, artiste réputé engagé, leader de manifestations anti-Berlusconi, orateur gauchiste reconnu, a séduit les profs, les étudiants, les intellos, mais pas forcément au-delà. Créé par un journaliste de La Repubblica, le "caïman" (un reptile proche de l'alligator) est donc le nom donné à l'ennemi Berlusconi, qui "dirige les masses stupéfaites à travers l'hypnose télévisuelle ; sa force réside dans le fait de ne pas penser ; penser sème le doute ; lui vise sa proie et l'engloutit… ". Le film a outrepassé les pages cultures pour envahir les rubriques politique, société, opinions. L'oeuvre a agité toute la classe politique, ceux qui iraient le voir, ceux qui ont peur de le voir, ceux qui refusent de le voir. Le maire de Rome, Walter Veltroni a apprécié : "ce n'est pas un film sur Berlusconi, mais un film avec Berlusconi. Une photo de notre pays dans des années de désorientation maximale." Moretti ne cherche pas à convaincre, plutôt à se moquer de cette farce médiatique et cette "comedia dell'arte" politique. Il parle même, dans le film "d'Italie d'opérette" après un quinquennat d'affaires et de néo-fascisme.
Vous avez la berlue?
Pourtant Le Caïman c'est aussi un film dans le film, une compilation d'archives (et surtout des fameux dérapages verbaux du protagoniste incriminé), une accusation d'un système corrompu, des retrouvailles avec le cinéma politique italien des années 70, quand Moretti n'avait qu'une vingtaine d'années.
Portrait d'un pays désormais "addict" à la désinformation, au divertissement abrutissant, à une sémantique manipulatrice par l'un des principaux intervenants des tables rondes citoyennes de l'automne 2002. "J'ai été surpris de l'impact que mon engagement avait pu avoir, mais je ne suis pas un homme politique, et je suis revenu à mon métier de cinéaste. (...) Le personnage qui donne son titre au film laisse derrière lui des ruines culturelles, politiques, institutionnelles, morales et psychologiques." Il ne faudra pas moins de trois acteurs pour personnifier "Il Cavaliere" comme il était appelé, ce Berlusconi allié de Bush, de la fille de Mussolini et du Pape.
Comédie à l'italienne, médiatisation du film surréaliste (il fallait éviter d'en faire une propagande politique en faveur de Prodi pour ne pas amputer le temps de parole légal de son camp), ce Dictateur nabot à la napolitaine va devenir malgré lui une star de cinéma, après avoir fait le bonheur des humoristes, grâce à une énigme plus grande que le Graal : "D'où vient l'argent de Berlusconi?". Déjà dans Viva Zapatero (présenté et ovationné à Venise l'an dernier), Sabina Guzzanti posait la question. Les temps changent car en 1991, Moretti interprétait un politicien arriviste et corrompu dans une fable de Daniele Lucchetti, Il Portaborse, qui brocardait en fait le camp socialiste de Bettino Craxi. Excepté que Craxi, contrairement à Berlusconi ne contrôlait pas la plupart des chaînes de télévision du pays, certains journaux, le plus grand distributeur de films en salles, ... en clair une partie de la "machine" cinéma.
À quand un film sur Chirac?
D'où son surnom : le Caïman Berlusconi avale et digère ses proies - ici l'Italie - pour se les approprier. Dans un pays encore fermement ravagé par les ravages du communisme et tenté par le libéralisme à tout crin, vire un certain nationalisme néo-fasciste pour certains, Moretti n'a pas que des amis. "J'espère que ce film sera utile et qu'il ne causera pas de dommages à la campagne électorale" prévenait le futur vainqueur à l'arraché, Romano Prodi. Pour les Cannois, cela rappelle le syndrome Michael Moore, Palme d'or pour son Fahrenheit 9/11, mais impuissant à empêcher la réelection de Bush, sa cible. Depuis le cinéma américain redevient subversif, activiste. Est-ce que ce sera le cas en Europe? L'Italie, malgré un cinéma malade, même si jamais absent de la Croisette, semble au moins renaître avec des oeuvres ambitieuses (et inégales) sur la Guerre en Irak, son passé terroriste, des documentaires acides et lucides.
Dénué d'enjeux puisque déjà sorti dans un pays qui a déjà voté, le nouveau Moretti ne vise même pas une place au Palmarès tant son tableau d'honneur est déjà impressionnant. Cette escale à Cannes dépassionnera le débat et ne sera "jugée" qu'aux seules qualités du film, qui sort dans la foulée dans les salles françaises. Le cinéma Français, depuis longtemps, a préféré s'abstenir de toute représentation ou parodie sur la politique contemporaine, laissant cela aux documentaires sérieux ou à la télévision (L'affaire Rainbow Warrior, qui date quand même un peu, par exemple). Il y a bien eu Le Promeneur du Champ-de-Mars mais le drame du déclin de Mitterrand n'a rien à voir avec la crise institutionnelle traversée par le pays depuis une dizaine d'années - accusation de manipulations, de corruptions, émeutes, clivages, montées des extrêmes : le cinéma ne veut pas s'en mêler.
Pourtant la satire existe depuis l'Antiquité. Elle est saine pour la démocratie et agit comme un reflet déformant mais aussi informant de l'état d'un Etat.
vincy
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