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La belle époque (La belle époque)
Sélection officielle - Hors compétition
France / sortie le 06.11.2019
J’AI PERDU MON COUPLE
« N'en déplaise à certains, on rencontre parfois l'amour irréversible », disait Victor aka Nicolas Bedos, dans sa première réalisation, Monsieur et Madame Adelman en 2017. Deux ans plus tard, elle sera rejouée en boucle par un autre Victor plus vieux – aka Daniel Auteuil - dans cette nouvelle fresque romantique, La belle époque.
Après avoir filmé l’odyssée d’un couple durant ses 45 années tumultueuses, en débutant dans les années 1970, Nicolas Bedos nous raconte la trajectoire inverse, depuis notre présent vers un retour à ces mêmes seventies. Un couple fatigué se déchire, Victor est rejeté par son épouse tout comme par cette époque connectée à la con. On lui propose de participer à l'expérience d'un jeu de rôle pour revivre le passé, et il choisit 1974 pour sa rencontre avec celle qui allait devenir sa femme... N'en déplaise à certains, le fanfaron égocentrique Nicolas Bedos confirme à Cannes qu'il est bien un réalisateur de film populaire en devenir : La belle époque va séduire un large public avec ce mix entre Yves Robert et les grandes rom-com anglosaxonnes.
Monsieur et Madame Adelman avait été un brillant coup d'éclat avec 2 nominations aux Césars, et, à l'écran Nicolas Bedos et son égérie Dora Tillier en représentation dans le paraître d'un couple. Ce nouveau film développe une nouvelle observation sur l'érosion du sentiment amoureux. Il ne s’agit plus de paraître un couple mais d’être un couple, et surtout être encore un couple aujourd'hui après plus d'une quarantaine d'années ensemble. La belle époque pourrait être nostalgique mais c'est avant tout romantique. Cette noble ambition demandait une noble interprétation : deux vétérans, deux « monstres » sacrés nés dans le cinéma des années 1970 justement, Fanny Ardant et Daniel Auteuil. En miroir, Bedos filme un autre couple, Dora Tillier et Guillaume Canet (parodiant Bedos). Fanny Ardant rayonne de fantaisie et Daniel Auteuil est émouvant comme il ne l'a pas été depuis longtemps. Rien que la réunion de ces deux grands du cinéma français fait déjà de La belle époque une réussite.
Le film s'ouvre avec plusieurs séquences où ce vieux couple se balance des vacheries à la figure. Un dîner en compagnie d'amis et enfants fera éclater les convenances : l'exaspération est à son comble, une séparation est envisagée. Leur aîné - Michael Cohen - invite son père à découvrir l'expérience d'une attraction développée par l'entreprise de son pote Guillaume Canet : une sorte d'immersion dans un jeu de rôle avec figurants et reconstitution historique à choisir. Daniel Auteuil choisit un café de Lyon en 1974, soit le lieu et le moment où il allait rencontrer sa future femme. Après quelques préparatifs l'expérience commence, Auteuil arrive et c'est presque comme dans ses souvenirs, il y a une jeune actrice Dora Tillier qui joue le rôle de la femme qu'il va y rencontrer. Ce bain de jouvence vintage et nostalgique ravive les souvenirs agréables du passé mais traduit aussi un décalage avec certains travers de notre présent. Cette expérience pourrait dérailler...
Nicolas Bedos a tramé un canevas entre présent et passé où les deux époques sont parfois alternées ou mélangées, où le 'c'était mieux avant' se confronte au 'voilà ce qu'on est devenu', ce qui permet plusieurs situations humoristiques sur la décennie où son père Guy Bedos était une star et la décennie actuelle, où Nicolas lui rend inconsciemment hommage (car on n’est pas dupe : Canet et Auteuil, c’est aussi une histoire de transmission « filiale » qui est sous-jacente au film). Le scénario s'amuse à confronter les personnages à deux périodes de leur vie, entre jeunesse pleine d’espoir et vieillesse pas loin du naufrage, entraînant quiproquos et anachronismes mentaux. En creux, à travers cet alter-ego incarné par Canet, arrogant et dominant, Bedos met en scène aussi, d'une certaine manière, la fin de son histoire passionnelle avec Dora Tillier, qui réussit à briller sans lui...
Ces mises en abimes sont un régal grâce à un scénario bien ficelé et un vrai plaisir d’offrir du cinéma populaire élégant et intelligent. Toute l’expérience aurait pu être factice, « jouée », mais on croit finalement assez vite à cet alibi point con. La comédie française avait déjà osé une forme de voyage dans le temps pour des histoires où il s'agissait de ré-évaluer sa vie, et à ce titre les retours vers le futur franchouillards - Bis de Dominique Farrugia (revenir 30 en arrière) et Deuxième vie de Patrick Braoudé (se découvrir 16 ans plus tard) - étaient en fait plutôt réjouissant, tout comme la réalité alternative de Mon Inconnue de Hugo Gélin et de Chambre 212 de Christophe Honoré...
Ici Nicolas Bedos ne s'embarrasse pas d'un pseudo artifice de science-fiction pour changer d'époque, il s'agit principalement d'un jeu de rôle comme sur une scène de théâtre où dans un décor de film. Il utilise le spectacle, ses artifices classiques, pour faire revivre une réalité. Forcément embellie. Forcément faussée (elle a un public, on connait déjà la fin). C’est un hymne à la possibilité du cinéma (et du théâtre) de créer et recréer des émotions. Le spectateur, tout comme les personnages, ont toujours pleinement conscience d'être dans leur présent plutôt malheureux, mais l'illusion de la mise en scène d'un passé idéalisé fonctionne vraiment bien, autant pour eux que pour nous. C'est la grande force de La belle époque : aussi artificiel que soit son dispositif, il est suffisamment habile et sincère pour s'en amuser. On y croit assez pour être gagné par une certaine confusion des sentiments qui gagne les personnages fuyant la réalité de leur situation amoureuse pour la rechercher ailleurs. Cette disruption sentimentale et cette distorsion du temps produisent, finalement, de quoi rallumer la flamme.
C'est d’ailleurs toute l'étendue du sentiment amoureux qui est abordée dans le film : séduction et jalousie, espoirs et regrets, routine et fantasmes. Revivre un amour par procuration avec quelqu'un d'autre pour se redécouvrir amoureux de l'autre ? Avec La belle époque Nicolas Bedos organise un maelstrom de malentendus et d'ironie, rafraîchissant le genre de la comédie romantique. Comme il est essentiel de rafraîchir son amour quand il se fane.
Kristofy
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