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Tommaso Buscetta (wiki)
Giovanni Falcone (wiki)

 

Le Traître (Il traditore)

Sélection officielle - Compétition
Italie / sortie le 06.11.2019


LA BALANCE





«- Je connais toute l’Italie. Ou plutôt toutes les prisons d’Italie. »

Avec Le Traître, Marco Bellocchio signe un film politique et historique sur la Cosa Nostra, la mafia sicilienne, qui s’étend des années 1970 à 2000. Avec le style d’un thriller assez sombre, du Brésil à l’Italie en passant par les Etats-Unis, le vétéran italien tente une mise en scène dans l’air du temps pour raconter l’histoire de Tommaso Buscetta, soldat de la pieuvre, qui va se mettre à table et confier au juge Falcone les secrets et les noms de l’organisation. Il refuse d’être considéré comme repenti, mais pour beaucoup il est avant tout une balance, un traître.

De facture classique, le film nous entraîne dans les méandres de ce combat entre l’Etat italien et la mafia sicilienne. Tout démarre sur les chapeaux de roue, avec une surdose d’informations sur les personnages un peu inutile. Deux « familles » sont réunies lors d’une fête sacrée, trêve de courte durée. Les assassinats vont s’enchaîner. Un compteur indique le nombre de victimes, d’un prêtre en plein sermon à un frère qui revient de faire ses courses.

Mais l’histoire est avant tout celle d’un homme qui ne se reconnaît plus dans la Cosa Nostra, qui a perdu ses valeurs en préférant brasser des tonnes de fric grâce au trafic d’héroïne. Lentement, on comprend qu’il veut rester un homme d’honneur, mais aussi mourir de sa belle mort. Cette humanité transparaît très bien grâce à la formidable incarnation de Pierfrancesco Favino, capable d’être solide en charismatique « parrain », en tueur patient et froid, comme en père et époux aimant et aimable, protecteur. De la gloire à une vie de « nobody », il accompagne son personnage dans sa quête d’humanité. Buscetta est un homme à part, qui a préféré se mettre à l’écart, jusqu’à trouver dans ceux qui le protègent de nouveaux amis, puisque les anciens sont en prison grâce à lui.

Protéger et servir

Le Traître est à la fois un bon polar, un film de procès et le portrait d’un homme qui décide de venger la mort des siens en faisant tomber tous les autres, quitte à être une cible mouvante permanente.

Bellocchio n’en rajoute pas dans la violence. Il préfère mettre en image de façon clinique cet affrontement judiciaire qui va occuper une bonne partie du film. Car en faisant le portrait de Buscetta, il en profite pour rendre hommage à Falcone, juge mythique, dont la mort, ici, produit l’un des plus vertigineux assassinats du cinéma.

Ce qui intéresse le cinéaste, c’est bien l’emprise de la mafia sur un territoire (y compris en donnant de l’emploi) et les limites d’une République à faire valoir le droit face à cette puissance souterraine. Cette limite, on l’atteint avec une ultime confrontation devant les juges entre Buscetta et Giulio Andreotti, président italien, accusé d’avoir frayé avec la mafia. Or, si Andreotti est le coupable, c’est bien Buscetta qui va ressortir cogné par l’avocat. Que des centaines de mafieux aient été emprisonnés grâce au témoignage d’un homme qui risque sa peau à chaque prise de parole, avec la bénédiction et la protection de l’Etat, importe peu. Il faut le discréditer pour sauver l’intouchable Andreotti.

Ainsi Marco Bellocchio parvient à capter notre attention malgré la longueur de film et une ultime partie plus biographique et académique. Son film, clairement politique, assurément sombre, est une tranche de « vie » d’une Italie atteinte de tumeurs difficiles à soigner. Avec un montage ambitieux, parfois bancal, le cinéaste essaie de condenser trop d’éléments pour les approfondir complètement. Il cherche à raconter le comportement d’un homme qui assume l’illégalité de ses actes et qui accepte de changer, le fonctionnement d’un système qui se fout de la Loi (le tribunal ressemble parfois à une cour d’école remplie d’insolents et de fous), l’ambivalence d’un Etat qui ne veut pas reconnaître sa part de responsabilité tout en condamnant lourdement les coupables.

Pour le cinéaste, la guerre n’est clairement pas finie et le pays poursuit son incessante histoire de plomb et de sang. Mais il garde la foi en démontrant que quelques hommes suffisent à démanteler une organisation qui croit en son immunité et sa toute-puissance. Là où l’écrivain et scénariste Roberto Saviano ne réussit pas à croire en un monde meilleur dans ses textes sur la Camorra napolitaine, Bellochio, avec un personnage qui ne pardonne rien mais qui est pardonné, qui s’offre une rédemption sans se repentir réellement, éclaire les ténèbres d’un ensemble chaotique et infernal, où seul la vérité peut vaincre. Tout est histoire de balance, non pas celle qui dénonce, ce serait trop simple, mais celle qui définit l’équilibre des choses.

vincy



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