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Atlantique
Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 02.10.2019
OCÉAN (PAS TRÈS) PACIFIQUE
« Les garçons sont de retour »
C’est sur une scène de protestation sociale que s’ouvre Atlantique. Filmés caméra à l’épaule, cadrés serrés, des ouvriers réclament les quatre mois de salaire que leur doit l’entreprise en bâtiment qui les emploie. Ils disent en quelques mots leurs difficultés matérielles et la précarité insupportable dans laquelle ils se trouvent. Ce que l’on apprendra quelques scènes plus tard, c’est que ce gel arbitraire des salaires conduit le groupe, constitué principalement d’hommes jeunes, à tenter l’aventure de l’exil. Sans rien à dire à personne, même pas à leurs petites amies, ils prennent la mer sur une pirogue pour rejoindre l’Espagne.
De ce point de départ, Mati Diop aurait pu faire un énième récit du parcours du combattant que représentent ces voyages incertains vers l’Europe, et des conditions d’accueil déshumanisées. Mais la jeune femme s’intéresse moins à ceux qui sont partis, en tout cas à ce qu’ils endurent, qu’à ceux qui sont restés. En l’occurrence, aux jeunes femmes qui attendent le retour des exilés, et qui doivent vivre avec leur absence.
Le film se concentre alors sur Ada, la petite amie de Souleimane, un des candidats au départ. En apprenant la vérité, Ada est dévastée. Elle aussi pourtant a dû faire le choix du renoncement pour assurer son avenir : en tant que femme, ce n’est pas dans l’exil, mais dans le mariage, qu’elle a mis ses espoirs. Ada s’apprête sans conviction et sans émotion à épouser Omar, le fils d’une famille riche. En quelques scènes, la réalisatrice nous parle de la société sénégalaise et de ses contrastes économiques et sociaux. D’un côté le dénuement le plus complet (lorsque l’on découvre la pauvre maison aux murs nus et délabrés de Souleiman) et de l’autre l’opulence bling-bling (la chambre à coucher d’Omar et Ada que l’on croirait issue d’un hôtel de luxe kitch à Las Vegas). D’un côté la modernité (le bar de Dior) et de l’autre la tradition (les rituels contre les djinns). D’un côté la vie et les émotions (Ada et Souleiman, et leur rêve de bonheur ensemble) et de l’autre la froide réalité (la famille d’Omar qui exige un test de virginité).
À cette observation presque sociologique, Mati Diop ajoute un mélange de polar et de fantastique qui sort définitivement le film des sentiers battus. C’est en effet par l’allégorie de la possession qu’elle aborde la question de la responsabilité et de la culpabilité. Morts en mer, certains exilés reviennent se venger en s’emparant du corps des femmes qu’ils aimaient. Une idée magistrale qui parle à la fois de ces défunts qui hantent les consciences (pour ceux qui en ont une) et de ceux (hommes d’affaires ou policiers aux ordres) qui par leur indifférence et leurs combines les ont littéralement condamné à mort. Une idée également très visuelle qui lui permet de mêler l’esthétique d’un cinéma plus social à celui du cinéma de genre. D’une manière générale, Atlantique propose une mise en scène aérée, entre l’immersion dans une ville et une communauté (les scènes urbaines, la séquence du mariage) et des moments plus intimistes et relâchés (les conversations des jeunes femmes entre elles, l’abandon d’Ada après la disparition de Souleiman). Quelques plans sont même des moments de grâce suspendus, comme lorsque Ada se tient assise dans l’obscurité, les lumières vertes de la boîte de nuit dansant en silence sur elle, et que l’on devine sa peine monter comme une vague qui submerge tout.
Mati Diop a mis beaucoup de choses dans ce premier long métrage, comme c’est souvent le cas. Atlantique est ainsi tout à la fois une histoire d’amour et d’émancipation, une fable moderne sur l’immigration et en filigrane sur les rapports de classe, et un portrait nuancé du Sénégal contemporain. Cela lui permet d’être d’une grande richesse narrative, tout en n’échappant pas à quelques maladresses, notamment formelles, comme ces plans qui se répètent de manière appuyée (la mer, la lune, les couchers de soleil). On peut aussi trouver que l’histoire d’amour finit par trop prendre le pas sur le reste, ou que le personnage du policier est inutilement caricatural. Pourtant, on a vu des réalisateurs confirmés proposer des œuvres moins maîtrisées et moins singulières sur un sujet qui lui ne l’est pas. La réalisatrice parvient ainsi à donner un visage, une histoire et même une forme de justice aux milliers de réfugiés qui reposent dans les fonds sous-marins, sans sépulture et sans oraison funèbre.
MpM
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