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Les moissonneurs (The Harvesters - Die Stropers)
Certain Regard
Afrique du sud / sortie le 20.02.2019
DEUX FILS
«Fais que sa semence soit forte. Seigneur, aide mon fils ! »
Etienne Kallos ne lésine pas dans l’aspect dramatique de son film, Les Moissonneurs , de ses plans pesants à sa musique en passant par le récit. Pourtant, Les moissonneurs est lesté par une certaine grâce, comme si le doute qui traverse le personnage principal, fils d’une famille d’Afrikaners extrêmement croyants. Au sein d’une « sainte » Trinité – l’agriculture et le bétail, la religion et sa communauté, la famille – Janno n’est pas à sa place, et l’est encore moins quand la mère ramène Pieter, garçon à problème. Janno est faible et fragile, mu par des pulsions homosexuelles qu’il enfouit tandis que Pieter est débrouillard et malin, un peu sauvage et légèrement immoral. Les deux ont en commun un sérieux manque d’affection.
Dans cet univers très pieux, aux valeurs strictes, où aucun des deux jeunes hommes ne se sent à l’aise, et tous deux aspirent à une autre vie – sans doute plus libre et aventureuse pour l’un, plus posée et plus aimable pour l’autre – il est question d’amour, de générosité, de sacrifice.
Quand l’existence est dictée par le Divin, cela rend parfois un peu fou, les parents comme les enfants. Cette vie de labeur, cette jeunesse de travailleur ne sont supportables que si l’on est persuadé de servir un être suprême, de s’asservir à sa Loi, de s’abandonner à un intérêt général. La vie serait si simple si tout le monde Lui obéissait.
« Si tu priais le soir avant de dormir, tu ne ferais pas de cauchemar »
C’est sans doute là que le réalisateur parvient à restituer le mieux la souffrance de ces deux adolescents incapables d’être sincères dans leurs émotions et leurs sentiments. Etienne Kallos réussit aussi à installer une ambiance presque fantastique avec diverses menaces sur les fermiers, ces rêves hantés et ces fantasmes invisibles d’un jeune homme perturbé, étouffant sa colère, ce bonheur factice troublé par le moindre événement. Ce Dieu qui les met à l’épreuve.
Si le cinéaste film magnifiquement les paysages, entre océan et montagne, et les champs dorés, s’il saisit parfaitement l’ennui qui règne, tout comme il montre cette ségrégation (ethnique et sociale) rance qui perdure, cette distance sentimentale entre parents et enfants, il échoue à dérouler un discours critique.
Cette communauté, qui rappelle les Amishs, coupée du monde réel, semble pourtant condamnée. Peu importe qu’on les traite de « lobotomisés », que leur aveuglement fasse des martyrs, que l’Afrique cosmopolite semble plus joyeuse et vivante, le chemin qu’il prend s’égare dans un champ qui brûle.
Le cinéaste dessine bien chacun des personnages secondaires (notamment la mère) mais nous frustre avec les desseins de ses deux personnages principaux. Il définit avec justesse la foi qui porte les adultes mais semble mois sûr de lui quand il s’agit d’affronter les désirs des « fils », lié par des décharges érotiques palpables. On attend quelque chose qui ne viendra jamais, et qui aurait pu expliquer l’épilogue de manière plus cartésienne.
Sans juger qui que ce soit, Les Moissonneurs révèle surtout que l’emprise d’une norme, d’un mode de société ou l’idée qu’on se fait d’un homme et d’une femme peuvent écraser l’individualité. Malgré les grands espaces, cette bourgade a tout d’une prison. Malgré la famille, on se sent toujours orphelin. Cette histoire de deux mal-aimés n’est pas tout à fait aboutie. Au point qu’on ne voit pas où le cinéaste veut en venir, n’osant pas aller jusqu’au bout de cette quête d’identité et de notre place interchangeable dans la société.
vincy
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