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Le grand bain

Sélection officielle - Hors compétition
France / sortie le 24.10.2018


LE SLIP FRANÇAIS





Avant de toucher le fond, je descends à reculons, sans trop savoir ce qui se passait dans le fond... C’est la grosse dépression pour Bertrand qui n’est plus que l’ombre de lui-même depuis qu’il a perdu son travail sans en retrouver un autre, il est déconnecté de la jeunesse de ses enfants et de la sienne passée, la cinquantaine arrive, et seule sa femme semble le supporter. Un soir il rentre dans une piscine, pour éviter de rentrer à la maison avec sa tristesse. Il n’a rien d’un sportif, et bizarrement c’est pareil pour les types qui sont là autour du bassin : Laurent, Marcus, Simon… Ils ont un peu de ventre et des cheveux gris (quand ils sont encore sur le crâne), comme lui, à peine moins dépressifs que lui. Les entraînements de natation synchronisée sont surtout l’occasion de se retrouver ensemble et d’être moins seul avec ses problèmes. Le pari de s’inscrire à une compétition n’était peut-être pas une bonne idée…

Le grand bain symbolise tout le malentendu autour des films de comédies françaises : on en produit beaucoup trop, et avec peu d’ambitions. Les affiches sont calibrées avec tel ou telle comique qui promet un rythme de vannes humoristiques pendant 1h30. C’est pourquoi Le grand bain va surnager par rapport aux autres : il y a une dizaine de stars à l’affiche, ça dure 2 heures, c’est bienveillant, et on baigne dans un genre de feel-good movie amusant.
Toutes les bonnes comédies qui fonctionnent vraiment reposent en fait sur une seule situation : il suffit qu’un personnage ne soit pas à sa place pour faire sourire (comme la plupart des films avec Bourvil, Pierre Richard, Christian Clavier, les gendarmes de St Tropez, la 7ème compagnie…). Comment ces bonhommes vont assumer auprès de leurs proches leur entrainement dans cette discipline de danse aquatique à priori peu virile ? Comment une bande de vieux ratés pourraient réussir à former une équipe de natation synchronisée ? C’est probablement incompatible et impossible mais on a envie de le voir : c’est pourquoi Le grand bain sera la comédie populaire à son meilleur quand elle est made in France.

Tu sais nager au moins ?

Le grand bain met à l’eau (et en slip de bain) une partie du bottin des acteurs les plus populaires (et du répertoire téléphonique de son réalisateur) : c’est un film fait avec les potes, mais pour autant pas trop potache. C’est Mathieu Amalric qui joue le dépressif neurasthénique, Benoît Poelvoorde en baratineur qui n’arrive pas à faire mentir ses échecs, Guillaume Canet en râleur pour cacher ses peurs, Jean-Hugues Anglade qui ne se résigne pas de n’être pas devenu un artiste rock, Philippe Katerine en simplet lunaire, etc… Ajoutons les excellents Balasingham Thamilchelvan, Alban Ivanov. Félix Moati... Ils sont nombreux, ils sont tous là, et tous n’ont pas la même importance dans le film. Certains sont là en pointillé, prétexte à élément comique. Le récit fait la part belle au trio Amalric, Poelvoorde, Anglade. Curieusement, c’est Canet qui semble presque en trop. Une des faiblesses de Le grand bain est justement de leur faire jouer à tous leur petit numéro habituel comme ils en ont l’habitude. En fait seul Jean-Hugues Anglade - il faut dire qu’il est aussi plus rare au cinéma - impressionne vraiment. On peut regretter que Gilles Lellouche n’ait pas inversé certains rôles pour les sortir de leur zone de confort. Il faut aussi souligner la présence de plusieurs rôles importants de femmes, la plupart se révélant d’ailleurs être des aides et des réponses aux multiples problèmes personnels de ces types. Au premier rang Virginie Efira toujours épatante, Marina Foïs, Leïla Bekhti, Noée Abita… Les femmes semblent d’ailleurs plus soldies, pour ne pas dire plus « couillues ».

J'ai trouvé plus dépressif que moi...

Si le pari d'une compétition de natation synchronisée est l'objectif final, on voit beaucoup plus les personnages au bord du bassin ou en dehors de la piscine que dans l'eau. Les quelques scènes d'entrainement sportif ne sont pas suffisantes pour qu'on l'on remarque une progression de leurs efforts qui puisse laisser imaginer que l'équipe ait un autre niveau que ridicule (on ne découvre pas 'la naissance des pieuvres'). La piscine reste avant tout un décor pour les rassembler. La tonalité du film est en fait proche du cultissime The full monty où des cinquantenaires reprenaient leur vie en main en faisant du strip-tease, une activité improbable qui trouvait sa justification dans ses conséquences : regagner une estime de soi. C'est ce qui fait cruellement défaut au Grand bain : nager et danser dans l'eau semble être uniquement une corvée et pas un épanouissement (d'ailleurs la piscine aurait pu être remplacée par du curling ou du cricket que ça n'aurait rien changer). Dommage.
La narration du Grand bain passe de l'un à l'autre des rôles principaux (sa famille, ses problèmes et son type de dépression...), de manière inégale. Chacun(e) porte en soi ou pour quelqu'un de sa famille son lot de souffrance intime et un degré de dépression. SOS détresse-amitié bonjour : chômage, rupture amoureuse, alcoolisme, faillite, maladie, rêve inaccompli, handicap... La France est à leur image : vieillissante, grassouillette, décroissante, un peu pathétique. Ils sont tous à un âge où les divers accidents de la vie assombrissent un éventuel futur. Le véritable sujet du film transparait au fur et à mesure : accepter un échec, ne pas s’empêcher d’être heureux, aller de l'avant. Donc ne pas perdre pied dans le grand bain. La chaleur humide de la piscine les protège d’un monde extérieur qui les agresse.

On veut juste participer.

Gilles Lellouche trainait un peu cette image du mec largué qui ne bouge pas du canapé (ses rôles dans Ma vie en l'air et Sous le même toit), et coïncidence l'un de ses plus beaux rôles aura été celui d'un homme déprimé par la disparition de sa femme dans Plonger de Mélanie Laurent (2017). Il était pourtant aussi réalisateur, en partageant la mise en scène de Narco en 2004 et un segment des Infidèles en 2012, tandis que son meilleur pote Guillaume Canet réalisait plusieurs films, plus ou moins bons. Les deux acteurs-réalisateurs ont partagé une dizaine de films et la même envie : faire un film sur un groupe d'amis, leurs fêlures et le temps qui passe. Il y a eu un totem planté dans le cinéma français en 1974 par Claude Sautet avec Vincent, François, Paul… et les autres (puis les déclinaisons d’Yves Robert avec Un éléphant ça trompe …). Canet a pris la suite en réalisant Les petits mouchoirs (et la suite à sortir en 2019). Lellouche fait à son tour le grand saut. Noble projet, avec un peu trop de personnages et un peu trop de longueurs, mais il n'a pas à rougir du résultat. On prend un immense plaisir à partager son ton et son humour, à passer du bon temps avec ces mecs un peu cassés.
Toutefois, la même histoire (inspirée par le documentaire Men who swim de Dylan Williams) a aussi été filmée en parallèle par nos amis britanniques avec une réussite beaucoup plus remarquable : Swimming with man réalisé par Oliver Parlker, et déjà sorti outre-Manche. Cela ne retire rien au plaisir de voir ces mâles alphas abimés par la vie patauger dans leur mélancolie, leur tendresse et leur folie. Car il y a quand même de la joie dans ce groupe décalé (qu’on aurait aimé voir poussé un peu plus hors de leurs lignes).
Le cinéma français a sans doute besoin d'un peu plus de cinéastes comme Cédric Klapisch ou Rémi Bezançon. Alors tant mieux si Gilles Lellouche prend le relais et s'en approche avec Le grand bain. Quelque part, avec un film qui respire l’humilité d’un cinéaste qui manque de confiance en lui, il réalise une belle histoire que beaucoup sont incapables d’écrire. On sent l’artisan qui a écrit et réécrit ses personnages, voulant leur donner l’humanité nécessaire, la profondeur voulue, l’esprit de bande qu’il aime. Non sans rythme, il signe une comédie aussi légère qu’un 100 mètres papillon, en mettant à poil le mâle, perdu dans un monde où la beauté plastique et la jeunesse dictent l’esthétique aussi bien dans le réel que dans le cinéma.

Kristofy



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