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Ayka

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 16.01.2019


TOUTES LES AUTRES S’APPELLENT ROSETTA





« Je veux pas être pauvre comme toi, tu comprends ?

La quête désespérée d’une somme d’argent nécessaire à la survie du personnage principal est un genre cinématographique en soi que Sergei Dvortsevoy aborde en cochant toutes les cases, c’est-à-dire en n’omettant aucun des rebondissements traditionnels et des situations attendues. Notre héroïne, sorte de Rosetta kirghize, se démène donc sans relâche pour trouver le travail qui lui permettra de payer ses dettes. Pas facile pour cette jeune femme qui vient juste d’accoucher (et a abandonné son bébé à la maternité), est illégalement en Russie, doit de l’argent à des mafieux patibulaires à souhait, et se fait arnaquer par un patron qui s’enfuit avec la caisse tandis qu’un autre la remplace à la première absence.

On a le droit de trouver le tableau chargé (il l’est), mais impossible de ne pas être emporté par cette boule d’énergie nommée Samal Yeslyamova, formidable comédienne déjà vue dans Tulpan du même réalisateur, et qui apporte à Ayka sa détermination brute et son courage absolu. Elle est presque tout le temps à l’écran, cadrée en plans rapprochés et en mouvement, engagée entièrement dans le combat que mène son personnage. La jeune femme est ainsi prête à bien des sacrifices car elle poursuit un rêve : celui, simple et inaccessible à la fois, de monter son propre atelier de couture. Derrière la misère et la tragédie, l’espoir, encore et toujours, d’une vie meilleure.

En raison de la mise en scène très immersive, caméra à l’épaule et gros plans, on a l’impression d’être véritablement avec l’héroïne pendant toute la durée de ce Chemin de croix qui ne lui épargnera pas grand chose. Sergei Dvortsevoy en profite en effet pour dresser un tableau post-apocalyptique de la mère Russie, entre chasse aux sans-papiers, corruption policière et absence presque totale d’empathie des uns envers les autres. Même si elle n’est guère subtile, la symbolique du cabinet vétérinaire fait d’ailleurs mouche en montrant des animaux mieux traités que certains humains (en l’occurence l’héroïne d’origine kirghize), et une petite chienne allaitant ses bébés, quand la jeune femme souffre d’une montée de lait. Globalement, le contexte est absolument sordide, de l’appartement communautaire surpeuplé à l’entrepôt sombre et humide où elle est censée travailler. Même le travail sur les sons (circulation routière, machines, cris…) accentue l’impression d’un microcosme laid et bruyant où il n’est jamais possible d’être seul, ou tranquille.

Bien sûr la démonstration est épaisse, avec un petit air de surenchère dans le drame qui donne l’impression que l’on a déjà vu cette histoire racontée bien des fois sous des formes similaires. Pourtant, elle ne fait pas tant l’effet d’une redite que d’une confirmation : en 2018, dans un pays riche comme la Russie, les plus fragiles et les plus modestes sont toujours des laissés pour compte qui ont moins d’importance, aux yeux de leurs concitoyens, que leurs animaux domestiques. Ce n’est pas parce que tout le monde le sait qu’il faut cesser de s’indigner.

MpM



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