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Une affaire de famille (Manbiki kazoku - Shoplifters)
Sélection officielle - Compétition
Japon / sortie le 12.12.2018
LES LIENS DU SANG
« En gros, vous devenez plus pauvres tous ensemble. »
La famille hante la filmographie de Kore-Eda qui, de I Wish à Notre petit soeur, en passant par Tel père, tel fils, s’applique à démontrer que les meilleures familles sont celles que l’on se choisit, ou qu’on se constitue. Avec son nouveau film, il pousse le curseur un cran plus loin en imaginant une cellule familiale majoritairement constituée d’êtres qui ne sont pas unis par les liens du sang mais ont choisi de vivre ensemble et de faire face aux difficultés du quotidien. Car ce ne sont pas des cadres supérieurs ou des employés issus de la classe moyenne que le cinéaste met en scène. Il nous emmène au contraire dans le Japon des classes les plus modestes, simili marginaux qui vivent de combines et de système D en s’entassant à 5, puis 6, dans un logement minuscule et encombré.
Longuement, il nous fait partager leur quotidien. Les scènes sont courtes, très découpées. A l’intérieur, le cinéaste tire le meilleur parti de l’espace confiné de l’appartement et filme « à hauteur de tatami » comme le faisait Ozu, ou propose des chorégraphies très précises lors des scènes de vol à l’étalage. A l’extérieur, les plans s’aèrent et nous montrent le milieu urbain, très loin de l’imagerie de carte postale du Japon. Les protagonistes parlent, plaisantent, se chamaillent et s’aiment, tous unis dans un même élan : celui de la vie malgré tout. Malgré la pauvreté, malgré la marginalité, malgré les anciennes plaies toujours pas cicatrisées. Car le film brosse un tableau sans fard de ce Japon moins visible où les difficultés sociales sont les mêmes que partout : spéculation immobilière qui chasse les petites gens de leur maison, chômage qui fait rage, absence de couverture sociale pour les travailleurs qui sont pourtant les plus pauvres…
Mais Kore-Eda aime ses personnages et ça se sent. Chacun existe pour lui-même, avec ses failles et sa personnalité. Le réalisateur ne les regarde jamais ni avec pitié, ni avec condescendance. Même lorsque Aki se déshabille dans un peep-show pour gagner sa vie, il la filme avec douceur et bienveillance, proposant d’ailleurs l’une des plus belles scènes du film, celle où elle enlace son client régulier dans une étreinte en état de grâce. Leurs visages, à ce moment-là, reflètent à la fois la douleur et l’apaisement. Les comédiens sont d’une manière générale exceptionnels, en terme de justesse comme d’expressivité. On voit se mêler sur leurs visages les émotions les plus infimes, y compris chez les enfants : un voile au fond des yeux, une expression qui se fige, un sourire qui explose... Il leur faut très peu pour offrir un large éventail de nuances à leur personnage. Autant dire que l’empathie fonctionne à plein, et le charme délicat d’un récit avant tout profondément humain.
Indéniablement, les maîtres mots du film sont la retenue et la simplicité. Là où il y avait tous les éléments pour un mélo misérabiliste ou tire-larmes, Kore-Eda propose un film sensible, lumineux et doux, qui flirte par moments avec le feel good movie, et surtout ne cherche jamais à donner des leçons de morale. Car si la toute dernière partie éclaire le récit sous un autre jour, elle réaffirme aussi la vision que le cinéaste a de la famille : un groupe d’individus qui s’aiment suffisamment pour décider de vivre ensemble ou justement pour se donner le choix de ne plus le faire.
MpM
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