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Le Livre de Jérémie (The Heart is deceitful... - Le Livre de Jérémie)
Quinzaine des réalisateurs - Compétition
USA / sortie le dernier trimestre 2004
Descente aux enfers
« Le corps est tortueux par-dessus tout et il est méchant. Qui peut le connaître ? »
Loin de l’univers branché du premier film d’Asia Argento, Le Livre de Jérémie penche du côté des loulous drogués et des ultra-cathos américains. Rien à voir donc. Enfin, en apparence, car les deux films ont en commun, et la réalisatrice semble dessiner là un profil plutôt personnel, de montrer des êtres qui butent contre des murs. Des êtres en souffrance. Même si Scarlet Diva est indéniablement plus marquant de par sa dimension cathartique, le nouvel opus de la jeune cinéaste ne s’épargne pas.
Le début du film est brusque. Une jeune femme très chic : cheveux blonds décolorés avec racines noires, maquillage ostensible et défait, voix de vieille fumeuse de Gauloises. Asia Argento s’est métamorphosée en Courtney Love. Sarah (ladite jeune femme) vient de récupérer son rejeton qui ne la connaît pas. On voit tout de suite qu’elle regorge de cet équilibre qui font les bonnes mamans : la clope au bec, elle cuisine des succulentes pâtes en conserve et hurle à la moindre occasion. D’ailleurs, Jérémie ne s’y trompe pas : il est terrorisé. Son seul désir est de fuir cette demie-folle inconnue et retourner chez ses parents adoptifs.
Malheureusement pour lui, ce n’est pas possible et il doit composer avec cette mère un peu singulière. C’est cette composition qui est la colonne vertébrale du film. Peu à peu, le petit garçon va adopter sa jeune mère excentrique et perdue et, en même temps, le mode de vie de cette dernière qui s’apparente à une sorte de road movie trash. Alors c’est la drogue et l’alcool (que la mère partage avec son fils ; à cet âge, le corps médical le conseille…), la prostitution, le passage d’un homme à un autre, d’une maison pourrie à un camion sordide, d’un abus sexuel à un autre… Bref, Disneyland version Asia Argento. On nage en plein cauchemar et la réalisatrice parvient plutôt à nous ébranler avec cette peinture d’une certaine réalité miséreuse. L’anarchie destructrice dans toute sa splendeur. Et l’engrenage aussi.
Du bas de son jeune âge, le petit garçon se transforme. Progressivement, il devient de plus en plus fasciné par sa mère jusqu’à parfois se déguiser en elle. Le trauma de Sarah se transmet à Jérémie. Parce que cette vie chaotique cache quelque chose qui vient de l’enfance. Si elle a choisit de vivre comme ça, dans la précarité, dans le rejet de toute forme de vie normale et dans le refus de ses origines (elle vient d’une famille aisée et stricte), c’est en réaction à un certain événement. Ce qui est assez bien montré dans Le Livre de Jérémie, ce sont les conséquences de ce traumatisme. Comment, lorsque l’on a vécu quelque chose de marquant, on perd ses repères à un point tel qu’on ne prémunit même pas son propre enfant contre ce qu’on a pu vivre soi-même.
Asia Argento y va fort, certes, mais c’est efficace. Le film peut paraître grandiloquent, mais il faut y traquer la vérité des choses. Le regard que porte la cinéaste sur le personnage de Sarah est intéressant et plutôt bien fichu : même si c’est véritablement une mère indigne, qui, outre ses frasques alcooliques ou masculines, reprend son enfant pour l’abandonner et ainsi de suite, le fait de mettre en perspective son comportement et le poids familial, permet de resituer les choses. Comme le disait notre ami Spinoza : « ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre ». Amen.
Laurence
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