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The Florida Project
Quinzaine des réalisateurs - Compétition
USA / sortie le 20.12.2017
LITTLE MISS SUNSHINE (STATE)
« On va avoir des problèmes...»
Sean Baker s’est fait connaître avec un film, Tangerine, filmé à l’aide d’un iphone. Cela a suffit à en faire un cinéaste à suivre. Pourtant, ce n’est pas la technique qu’on retient de ce film mais bien son point de vue. Le regard attendrissant, humain et lucide sur une communauté marginale arpentant les trottoirs de Los Angeles.
Avec The Florida Project, et davantage de moyens, il poursuit cette exploration d’une Amérique des oublié(e)s. Ceux qui usent le bitume, qui logent dans du provisoire, qui brûlent le peu de cash qu’ils ont. Loin des discours politiques et du rêve américain.
Ironiquement, The Florida Project se déroule dans un autre miroir aux alouettes. Los Angeles est une illusion pour ceux qui veulent frôler les étoiles. La Floride d’Orlando, à deux pas de Walt Disney World, n’a rien à voir avec le Royaume de Mickey. Comme avec la ville des Anges, Sean Baker, à la manière d’un documentariste, filme l’envers du décor, aussi coloré que laid, peuplé de bâtiments improbables (Orange World, Purple Building, Gift Shop, Twister Tree...) cerné par des routes et des friches végétalisées. Une sorte de No Go Zone dans un No Man’s Land.
La guerre des trois
L’Amérique des laissés pour compte est ici vue à travers trois personnages. Un gérant de motel qui manie le compromis entre les exigences de tous et les règles qu’il essaye d’imposer à chacun pour que le « vivre ensemble » soit possible ; une jeune mère qui galère, refusant le passage à l’âge adulte, immature et irresponsable mais néanmoins maternelle, prête à tout pour se maintenir en survie ; sa gamine, canaille et peste, abandonnée à elle-même et sachant se rendre intéressante, entre ses multiples bêtises et son insouciance qui transforme tout en jeux.
Willem Dafoe en mec dépassé, protecteur et tendre est parfait. Bria Vinaite en mère déglinguée et imprévisible en envoie. Mais on est surtout abasourdie par la « performance de Brooklynn Prince en enfant déluré et qu’on adore détester, qui fait écho à la révélation de Beasts of the Southern Wild, Quvenzhané Wallis, il y a cinq ans.
Caméra à hauteur d’enfants, Sean Baker filme ainsi le monde vu par eux. Une vision déformée, ludique, où il faut combler les journées, refuser l’ennui. Les 400 coups : trop facile avec un manager au bout du rouleau et incapable d’être méchant et une mère anarchiste.
Orlando, ville ouverte
Si l’histoire n’a rien de vraiment originale et s’avère plutôt flottante (la dramatisation n’intervient que dans le dernier quart d’heure), The Florida Project, flirtant avec le néo-réalisme, offre un portrait loin des clichés d’une société où la précarité règne. La galerie de personnages, à la fois banals et pittoresques, est sans doute ce qui intéresse le plus le cinéaste, comme dans son précédent film.
Bien sûr, il enfonce des portes ouvertes et cède à la facilité lorsqu’il relie immanquablement le manque d’éducation et de cadrage de l’enfant avec ses délits mineurs. Cela lui permet notamment de finir sur une note dramatique qui donne bonne conscience.
Mais entre fausse réalité et vraie fiction, avec trois fois rien, il maîtrise parfaitement son récit et dépeint avec une précision étonnante ses personnages, sans jamais les juger et en les enrichissant de multiples nuances. Passons les combines, embrouilles, crises de nerfs, oublions qu’ils sont insupportables : ils sont attachants et personne n’arrive à leur en vouloir. Ce n’est pas la moindre des qualités d’un réalisateur que de restituer justement à la fois un monde enfantin, avec son jargon et ses codes, et de reconstituer sincèrement le quotidien d’adultes désemparés par le réel, tout en gardant l’équilibre entre les deux.
Derrière cette couche de peinture à bas prix, Sean Baker montre que la liberté n’a pas sa place même dans un monde pastel. Ce n’est pas un conte de fée et le Royaume n’a rien d’enchanté. Au final, The Florida Project est plus acide et amer qu’il n’y paraît. Et le final, aussi convenu soit-il, démontre aussi son talent à filmer un crescendo dramatique qui s’achève sur une course folle, où la jeune actrice donne tout son génie. De quoi nous remuer, tant son « craquage » révèle une bouleversante vulnérabilité qu’elle a toujours chercher à masquer avec ses airs de salle gosse.
vincy
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