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Le cancre
Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 05.10.2016
LA VIE DÉRATÉE
« - J’ai pas envie de jouer.
- Pas envie de jouer ou de jouir ? »
Le cinéma de Paul Vecchiali est sans aucun doute déroutant. Singulier même. Presque marginal. Qui ose encore filmer le temps qui passe, les incertitudes de la vie, les regrets avec un récit presque littéraire, un jeu théâtral (qui peut paraître faux), des dialogues qui s’amusent de jeux de mots un peu désuets et d’une langue comblée par sa finesse ? Il y a bien sûr quelques influences et références – Jacques Demy, Eric Rohmer, et même Hergé… -, quelques audaces, souvent des trompe-l’œil visuels, des faux gags (répétés ou pas). Cela donne au Cancre un aspect bricolé, légèrement baroque, et proprement surréaliste par moments.
Le Cancre est une fin d’odyssée où le héros, Ulysse usé-vieilli-fatigué, Don Juan débandant, passe sa vie amoureuse en revue, solde ses comptes (pas terribles financièrement) et tente de passer le relais avec un fils qui lui est complètement étranger (l’homosexualité du fils appuie d’ailleurs cette incompréhension).
Cela peut paraître « cheap », maladroit parfois, mais Le Cancre est bien plus délicat qu’il n’y paraît. Même si le scénario s’éparpille parfois, ce qu’il s’y dit, plus que ce qu’il montre, traduit parfaitement les différents sentiments confus qui envahissent l’esprit d’un septuagénaire qui cherche une dernière once de bonheur.
Trois histoires s’entrelacent : la relation entre le père et le fils, qui cherche à combler les différences générationnelles (y compris vestimentaires) ; le statut social, qui se délite, rattaché aux responsabilités professionnelles ; les femmes aimées et délaissées. C’est une œuvre de couture, où chacune de ses histoires est un fil dont la texture et la couleur varient.
Non dénué d’humour , noir et sec, ce film artisanal est une épopée qui dure huit ans, le temps de retrouver le grand amour du vieux malade, celui qu’il n’a jamais pu avoir, celui qu’il a du abandonner. Entre temps, les muses passent et les souvenirs avec. Défilé d’actrices qui ravit les cinéphiles. Toutes justes, elles renvoient, comme un miroir, l’image d’un homme qui a assouvit ses désirs sans vraiment les satisfaire, tout en frustrant chacune de ses partenaires (et parfois le spectateur tant les saynètes sont courtes). Le final s’offre Catherine Deneuve. La star ultime. Le fantasme né de l’ami Demy. L’Aphrodite sortant de l’écume du dernier rivage.
Souvent, Vecchiali est alors hors-champs. Il ne filme qu’elles. Il écoute leur témoignage. Encaisse les reproches. Mais il y a toujours un moment où ces femmes sont à ses côtés, une dernière fois. L’exception à ce procédé sera dans la séquence avec Deneuve. On ne saura jamais si la rencontre a eu lieu ou s’il s’agit d’un mirage.
Le Cancre c’est bien lui malgré tout. Il a raté sa fin de vie professionnelle. Il a échoué à comprendre son fils. Il a été un compagnon médiocre et égoïste. Qu’est-ce que réussir sa vie ? Comment est-on jugé par les autres lorsque la mort arrive ? « Ils n’attendent qu’une chose : que je crève ! » s’emporte-t-il. Pourtant, si les relations sont tendues entre ce vieux bougon un peu cynique et ceux qui l’aiment ou compatissent sur ses malheurs, on retient avant tout la tendresse affective et la mélancolie touchante qui teintent l’ensemble du film.
Entre non-jeu et sur-moi, ce film lacanien est un joli foutoir imparfait, atemporel. Comme la vie.
vincy
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