|
Mademoiselle
Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 05.10.2016
YOUNG GIRLS
«Les demoiselles sont les poupées des servantes»
Pour son retour au pays, le cinéaste Park Chan-wook a choisi d’adapter le roman de Sarah Waters, Du bout des doigts, qui se déroulait à l’époque victorienne. Transposée dans la Corée des années 30, sous occupation japonaise, cette histoire d’arnaque et de trahison se teinte d’érotisme et de cruauté, créant la sensation que les personnages sont les derniers de leur espèce, sur le point de laisser la place à une nouvelle génération. Parce qu’il aime jouer avec le spectateur et déconstruire les narrations, le cinéaste imagine un film en forme de poupées gigognes où chaque partie apporte une couche de connaissance supplémentaire au spectateur. Il souffle ainsi le chaud et le froid, peignant à petites touches un monde de dupes où chacun est tour à tour bourreau et victime, coupable et innocent.
On ne peut s’empêcher de voir dans ce récit à triple fond une allégorie du cinéma lui-même, où l’auteur écrit à sa guise un scénario que les autres interprètent. Les protagonistes de Mademoiselle jouent d’ailleurs eux-mêmes la comédie, comme des acteurs qui ont une partition précise à suivre. Toute la question étant de savoir qui est le scénariste, autrement dit : qui manipule qui ? Mais il faudra attendre les dernières minutes pour que les multiples points de vue, dévoilés peu à peu au spectateur omniscient, finissent par apporter une réponse.
Particulièrement bien écrit, avec un sens brillant du rythme, du coup de théâtre et du trompe l’œil, le film se permet en plus de changer de style à plusieurs reprises, passant sans crier gare du film d’arnaque au thriller malsain, de l’histoire d’amour au polar le plus noir. Il fait également preuve d’une perversité d’esthète en convoquant littérature pornographique et estampes anciennes pour un mode de torture inédit fait d’humiliation et de voyeurisme. En parallèle, Park Chan-wook rend un hommage (sincère, celui-là) à toutes les formes d’art, en mettant un soin particulier à la composition de chaque plan, et notamment tous les plans à caractère sensuel ou érotique.
Il filme de très près les corps frémissants, les peaux qui palpitent, les langues qui s’emballent. Défaire les boutons d’une robe ou dénouer un corsage se transforme en caresse, et une initiation sexuelle se mue en tableau de maître. Même la musique de Cho Young-Wuk, ample et majestueuse dans les passages dramatiques, plus guillerette dans les scènes de pur thriller, semble électriser l’atmosphère et faire surgir la passion derrière la froideur des apparences. Plus qu’un prétexte, ou une manière d’affrioler le spectateur, cette sensualité débordante est le moteur principal de l’intrigue car c’est elle qui amène les pulsions de vie et de mort chez les personnages. De cette étincelle dépend finalement leur destin.
On se laisse alors ensorceler, embobiner et même malmener avec plaisir par ce conte amoral où les mâles dominants machos, pervers et sadiques s’aperçoivent avec terreur qu’ils ont fait leur temps. Les clochettes que l’on entend tinter dans la séquence finale annoncent l’ouverture d’une nouvelle ère, celle de l’intelligence sensible, dans laquelle une femme a autant de chance que quiconque de tirer son épingle de cet ironique jeu qu’on appelle la vie.
�
MpM
|
|