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Charlie's Country
Certain Regard
Australie / sortie le 17.12.2014
CHARLIE OU LA VIE SAUVAGE
«- Tu veux que je reste assis sur l’herbe et dire que ce sont nos traditions ?»
Les aborigènes, malgré leur reconnaissance officielle, restent l’une des minorités les moins visibles au cinéma. On comprend mieux pourquoi en voyant Charlie’s Country. L’Australie n’assume pas complètement la manière dont elle a traité et dont elle continue de traiter le peuple d’origine de cette île-continent. Le réalisateur Rolf de Heer, qui se fait rare, n’oublie rien dans sa dénonciation d’une méthode politique et légale consistant à humilier et mépriser un peuple entier, sous prétexte de le protéger.
Refusant leur culture, leurs valeurs, la nation australienne concentre le primo-peuple dans des villes où ils sont marginaux, des villages où ils sont surveillés ou des prisons où ils sont aliénés. Révoltant.
Le cinéaste a choisi de prendre le point de vue d’un résistant, d’un homme debout, digne, qui s’amuse à jouer les rebelles face à des Lois qu’il juge absurdes. Par fidélité envers ses ancêtres et ses croyances, il va affronter une série de péripéties jusqu’à l’impasse : fumer de l’herbe, boire de l’alcool, vivre comme bon lui semble lui est interdit. Il en paiera le prix.
Le spectateur éprouve forcément de l’empathie pour ce personnage. D’entrée, le film nous met de son côté, c’est-à-dire contre les autorités, contre un système qui nie les différences entre les populations.
On pourra évidemment s’intéresser à ses étranges coutumes, à son mode de vie, passionnante étude ethnologique. On pourra apprécier cette simplicité du quotidien, ce lien avec la nature. On pourra aussi s’interroger sur les motivations d’un pays à traiter un peuple comme des enfants, après leur avoir spolié leur territoire.
Cependant, en cherchant absolument à nous mettre du côté de Charlie, Rolf de Heer livre une œuvre assez didactique et peu nuancée. Cela rend l’œuvre un peu simpliste. En voulant réhabiliter un peuple à travers un personnage l’incarnant jusqu’aux racines, le cinéaste passe à côté d’un principe essentiel dans un film-procès : l’enjeu dramatique.
Ainsi, Charlie’s Country se dilue au fil de l’errance descendante de son personnage. L’échappée belle devient spirale infernale et un seul coupable est désigné, l’Etat. On aurait souhaité un peu plus de complexité, un objectif un peu plus prononcé. L’attachement que l’on porte à Charlie ne suffit pas à comprendre les liens conflictuels et les méfiances naturelles entre un Etat occidental anglo-saxon et ceux qu’ils considèrent encore et toujours comme des primitifs. Pourtant il y a de la matière dans le scénario, surtout à une époque où la cause environnementale est primordiale. On aurait beaucoup à apprendre de ces peuples rapidement corrompus par la civilisation et grands connaisseurs de l’équilibre écologique.
Cela ne suffit pas à faire un grand film. Le récit, trop prévisible, s’égare en relâchant le rythme, en oubliant sa vitalité du départ où se mélangeaient humour et observation sociale. Bien sûr on est abasourdis devant des lois iniques. On est effarés face à la fatalité qui entraîne ces aborigènes à être sdf, incarcérés, alcooliques ou malades. Les ravages de ce peuple l’emportent, avec indulgences, sur les défauts du film. Mais cette perdition (« Il n’a pas pris la bonne voie. Il a pris n’importe quelle voie »), aussi utile soit-elle pour le film, ne nous touche pas autant qu’il le faudrait.
Pourtant la petite musique résonne tristement. L’acteur David Gulpilil est formidable en homme libre qui devient animal de zoo. Mais la mise en scène trop répétitive, l’addition de séquences inégales alanguit le rythme.
Reste le mérite principal de cette œuvre profondément humaniste et compassionnelle, ce portrait désespéré d’une culture et d’un peuple. Ne serait-ce que pour ça, Charlie’s Country est une invitation au voyage qui vaut le détour.
vincy
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