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Extrait du scénario

 

Les Invasions barbares

Sélection officielle - Compétition



Civilisation sous perfusion





« -Noël au scanner, Pâques au cimetière.

18 ans après le déclin annoncé de l’empire américain, Denys Arcand nous immerge dans une société mondialisée (les protagonistes sont éclatés géographiquement) qui jongle avec le fric, de la spéculation aux enchères. Money. Tout s’achète ou se brade. Même la souffrance humaine. Seule la religion n’a plus de valeur. Le portrait du Québec s’applique à tout l’Occident. Personne ne résiste à la corruption : les syndicats sont apparentés à des gangs de maffieux, les flics font leur boulot avec cynisme et les étudiants sont prêts à jouer de la compassion pour se faire de l’argent de poche. Personne n’est épargné. C’est le temps des désillusions, la fin des idéaux.
Le sexe et les relations humaines ont été remplacés par une certaine philosophie sur la vie et les rapports entre les générations, entre les responsables et les victimes, entre les parents et leurs progénitures.
Et ?
Dieu que la vie est belle ! De voir un tel film vous réconcilie avec le cinéma dans ce qu’il fait de mieux : vous faire rire et vous tirer des larmes, vous appuyer sur le bobo pour vous faire comprendre où ça fait mal, vous balancer statistiques et rappels historiques pour révéler quelques vérités bonnes à entendre. C’est une comédie intelligente, et surtout clairvoyante. Arcand nous fait visiter les arcanes d’un système qu’il voit se décomposer. Pour seule réponse à cette fatalité, il invoque l’absence de génies et un contexte historique indigne des grandes Renaissances. Nous manquons de démesure, et nous savons qu’il n’a pas tort. L’intelligence ne peut être stimulée que par un esprit d’échange et de transmissions de savoir. Bref nous vivons dans le crétinisme. L’empire Américain est peuplé de vieux prêts à engorger les hôpitaux, de jeunes requins qui sont prêts à muer en barbares. Tous vivent dans une société en phase d’autodestruction à force d'goïsme.
Contrairement à la plupart des cinéastes de son temps, à la plupart de ceux qui préfèrent dépeindre ou dicter leurs vues, Arcand, comme Van Sant, éparpille façon puzzle les clefs pour mieux saisir ce qui nous amener à cet abandon de valeurs. Arcand assume en fait un sujet terriblement actuel, et ose s’attaquer à son époque. Il n’y a ni nostalgie, ni compassion, ni même crainte du futur. Il dénonce, constate, fait preuve de lucidité. Le tout en utilisant la corde sensible sans exploiter le pathos. Et avec une drôlerie réjouissante pour nous alléger notre propre douleur.
Le casting sert magnifiquement ces bons mots, ces répliques mémorables et ces anecdotes historiques très irrévérencieuses. Rémy Girard et Marie-Josée Croze forment un duo inattendu et intense. Arcand, grâce à ses comédiens, réussit à faire passer tous ces messages, sa vision ultime de ce monde qui s’écroule. Sa caméra est efficace, et parfois poétique. Elle filme Internet plein écran et parvient à donner une dimension émotionnelle à ce support. Son scénario n’a pas de temps mort jusqu’à cette fin inéluctable. Il aborde les sujets les plus durs – consommation de drogue à usage médical, euthanasie, blessures amoureuses – avec une sensibilité touchante. Il est davantage cynique et caustique quand il s’agit de se moquer du budget de l’état, du discours administratif, et de tous ces intermédiaires parasites qui rouillent la belle mécanique de nos démocraties.
La dérision et l’humanité de chacun de ses personnages apportent une dimension identificatrice sans jamais sombrer dans le caricatural. Même ses piques contre les idéologies, les croyances, les leaders intellectuels et artistiques sont suffisamment bon enfant pour ne jamais être arrogantes. Les Invasions Barbares est un film populaire et juste, absolument pas moralisateur, mais salvateur. Il encourage la solidarité et l’impudeur des sentiments. Il oblige à faire le seul choix qui compte, le premier : se remettre en question. Quitte à se moquer de ses propres choix.
De cette comédie humaine cruelle, il ne reste que la bibliothèque, les livres, les écrits et par conséquent la Mémoire, car il a voulu réaliser un film, avec ses moyens, son talent, ses opinions. Pour au moins laisser une trace, aussi infime soit-elle. Il a tout mis de lui, des clins d’œil à ses précédents films, ses propres sarcasmes, et sûr la mort de ses rêves.
Au début du film, Sœur Constance distribue des osties. Comme pour bénir son film. Comme pour « sacrer » une dernière fois.
Pour notre plus grand plaisir. Et un futur sacre public.

(Vincy)

Vincy



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