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Le conte de la princesse Kaguya (Kaguya-hime no monogatari)
Quinzaine des réalisateurs - Compétition
Japon / sortie le 25.06.2014
LE TOMBEAU DES ILLUSIONS
"Une noble princesse n'est donc pas humaine ?!"
Un film d’animation en provenance des studios Ghibli fera toujours l'effet d'une jolie surprise à découvrir car c'est à eux que l'on doit les plus beaux films d’animation des 30 dernières années, comme Mon voisin Totoro, Porco Rosso , Princesse Mononoké, Ponyo sur la falaise ou encore Le vent se lève. Si c’est souvent le nom du réalisateur Hayao Miyazaki qui est mis en avant, Ghibli a été co-fondé par Isao Takahata, auteur du sublime Tombeau des lucioles et de Mes voisins les Yamada.
Le conte de la princesse Kaguya est donc le nouveau (et dernier) film de Isao Takahata, inspiré d’un conte populaire datant du Xe siècle, considéré comme l'un des textes fondateurs de la littérature japonaise. Cette jolie fable distille beaucoup de moments tendres et joyeux, notamment lors de l’enfance de la princesse. Dans une nature à la pureté originelle, tout est charmant, doux, mignon, sans aspérité ni violence, mais avec beaucoup d’humour et d’espièglerie. Les personnages évoluent au milieu des animaux et profitent des bienfaits de la forêt. Au passage, on entend même un peu d’écologie (''abattre tous les arbres finit par tuer la montagne'') même si le message environnemental est plutôt implicite, dans la peinture d’une harmonie simple et satisfaisante entre l’homme et l’univers.
Tout se gâte (pour la jeune héroïne) lorsque son père adoptif (un personnage de fantoche sympathique ébloui par le jeu social et les apparences) décide de la transformer en une "noble princesse". Le film se fait alors cruel, montrant avec ironie le dépérissement de la jeune fille contrainte de se conforter aux codes sévères de la haute société. Celle qui était une enfant libre (littéralement issue de la nature sauvage) doit se couler dans un moule trop étroit pour elle, comme pour quiconque. Au passage, Isao Takahata livre une critique sans fard de la condition de la femme, réduite à un bel objet que l’on désire posséder, chargée de divertir et délasser ses visiteurs, et privée de tout ce qui fait le sel de la vie (il lui est interdit de rire, de se promener librement et même d’assister au banquet donné en son honneur).
Mais puisque l’on est dans le conte, les soupirants grotesques seront éconduits avec humour, et les puissants proprement ridiculisés. Le sort de la petite princesse est-il pour autant enviable ? La révélation finale renvoie le récit à un autre niveau de lecture, célébrant les beautés de la vie terrestre, et notamment son cortège d’émotions et les joies immenses qui en découlent. Constat doux amer, et peut-être même nostalgique, pour un Isao Takahata qui a conscience de livrer un film testament d’où les regrets ne sont pas exclus.
Mais si le réalisateur semble ainsi évoquer la fugacité de la vie humaine, et toutes ses opportunités gâchées, il le fait avec délicatesse et pudeur dans un véritable éblouissement visuel qui évoque les estampes classiques japonaises. Les dessins réalisés au fusain ont en effet un graphisme naïf très simple avec des contours comme crayonnés et presque uniquement des couleurs pastel claires. Une séquence à elle seule dévoile le savoir-faire virtuose de Takahata : lorsque la princesse entend des propos désobligeants sur son compte, le trait semble se distordre et devient un crayonné minimaliste aux traits noirs abrupts, révélant bien mieux que des mots les sentiments intérieurs du personnage.
Renforcée par la musique sensible de Joe Hisaishi, la poésie indicible du film se double alors d’une dimension magique et initiatique. On est envoûté et bouleversé par la simplicité portant riche et profonde de ce conte à la beauté douloureuse quasi métaphysique.
Kristofy, MpM
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