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Maps to the Stars

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 21.05.2014


CAPITALE DE LA DOULEUR (*)





«- Quand est l’audition ?
- Ce n’est pas une audition. Je te l’ai dit.
- Ah oui, c’est vrai. Quand est-ce le test d’urine ?
»

Le plus étrange dans le nouveau film du vétéran David Cronenberg est l’usage du poème de Paul Eluard, Liberté (1942), longue énumération de lieux réels et imaginaires écrit en pleine occupation. A priori cela n’a rien à voir avec le film. Pourtant ce poème qui sert de fil conducteur en est sa quintessence. Los Angeles, capitale de l’image, miroir aux alouettes, ville réelle capable de servir de décors virtuels, abritent des stars, nouveaux Dieux, et des aspirants à la célébrités emprisonnés dans un cauchemar : la reproduction infinie d’une tragédie perpétuelle. Une mise en abime continuelle.

Tout commence avec Robert Pattinson dans une limousine. Loin de Cosmopolis, comme une autre facette de l’horreur économique contemporaine. Il est le candide d’un film où les personnages n’ont a priori rien au commun mais tant de liens qui les unissent. Il en est donc le seul étranger véritable. Il est chauffeur. Il aurait pu être serveur. D’autres sont assistants. Esclavagisme moderne.
Mais Cronenberg a préféré choisir une autre route : la satire. La succession de sarcasmes fait rire. Mais ce qu’il montre est cruel. Ça ne peut finir qu’en un jeu de massacre. Des névrosés en puissance, détruits par les péchés les plus infâmes de l’existence, se révèlent tous des monstres. Leurs actes ne peuvent donc qu’être monstrueux.
Maps to the Stars illustre une dégénérescence. Hollywood est un système aussi fatal que fataliste. Ses créatures sont régies par les lois d’un déterminisme glaçant. Les parents et les enfants ne valent pas mieux. Les crimes des géniteurs ne peuvent produire que des esprits dérangés chez leurs progénitures. Cronenberg préfère d’abord s’en moquer, flirtant avec le pastiche à la manière d’un The Player de Altman ou d’un Stardom de Denys Arcand.
Scientologie, bouddhisme, méthode néo-spirituelle, addictions (« l’enfer est un monde sans drogues »), sexe (frontal, Cronenberg n’est pas hollywoodien), égocentrisme, narcissisme, pouvoir… Avec concision, il dénonce une société de débauche et des individus complètement largués par leur vision de la réalité. Là-bas une star est une reine, convoquant son assistante alors qu’elle est sur le trône, comme les Rois de France autrefois. Elle impose son intimité.

Le cinéaste ne s’embarrasse pas de précautions : il envoie l’artillerie lourde, ne ménage aucun de ses personnages, et aborde tous les tabous avec un cynisme franc. Pas de place pour l’amour. Les tabloïds et autres rapporteurs de ragots ont plus de poids que des sentiments. Il n’y a qu’hypocrisie, mensonges, perversions, manipulations. Pas surprenant alors qu’il y ait autant de souffrances. Tout le monde est détraqué. Et quand la douleur est aiguë, certains ont des hallucinations et voient des fantômes ou/et entendent des voix.
Bien sûr, il utilise une facilité scénaristique. Tous sont en phase de transition, en salle d’attente. L’actrice (Julianne Moore, formidable en femme lunatique) veut changer de registre à tout prix et régler ses comptes avec sa défunte mère. L’écrivain/coach (John Cusack) souhaite s’imposer comme un nouveau gourou. Son fils, enfant star, se lasse déjà de sa vie et cherche à en sortir par tous les moyens. Des individus angoissés qui vont devoir payer le prix fort pour s’être conforté dans la vulgarité (la tirade du Mépris de Godard revisitée vaut d’y tendre l’oreille), l’immoralité et le sentiment de toute-puissance. Le réalisateur se lance alors dans un film plus noir, plus froid aussi, faisant monter l’inquiétude vers un final imprévisible (et un peu abrupt aussi). C’est tout le paradoxe de Maps to the Stars. Dans le genre, le film est indéniablement réussi. Du début à la fin, il suit son plan, ne sort pas de ses rails et va nous fracasser dans un mur (d’étoiles). Cependant, en ne s’autorisant aucun détour, le film ne s’offre aucune autre possibilité que le point de vue du scénario, assez nihiliste. Ce diktat contraint les personnages à un dérapage incontrôlé, sans possibilité de pardon, de guérison, de réconciliation, de rédemptions, ou même d’apaisement. Cronenberg nous oblige à subir le carnage auquel on assiste. En cela c’est bon un film de genre, où l’horreur n’amène aucune réflexion. Il faut tuer Hollywood et cette civilisation de décadents.

Perversité assumée. Mais le manque de nuances ne facilite pas à transformer le film en une grande œuvre. Le plaisir est évident. Ces familles maudites nous régalent avec leurs histoires à dormir debout. Ces Freaks nous amusent à transgresser tous les codes de bonne conduite. Reste qu’avec cette somme d’outrages, Cronenberg ne parvient qu’à faire un très bon film sur des castes (on caste bien les acteurs) qui vrille vers l’outrance et s’achève dans un sacrement sacrificiel. Comme s’il fallait définitivement en finir avec l’espèce / l’ethnie hollywoodienne.

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* Titre emprunté à un recueil de poèmes de Paul Eluard, publié en 1926

vincy



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