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La vie d'Adèle
Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 09.10.2013
L'ANGE BLEU
"Avec toi, ça veut dire que c'est tout ou rien !"
Avant d'être une histoire d'amour passionnée et passionnelle, La vie d'Adèle est le portrait scrupuleux d'une adolescente lambda, coincée entre ses doutes et
les certitudes de sa bande de copines. En quelques scènes, Abdellatif Kechiche la dépeint à grands traits : complexée, en attente, portant sur le monde un regard
perpétuellement hébété. C'est l'occasion de plusieurs séquences de groupes où transparaissent les préoccupations et les fulgurances de l'adolescence, entre quête
d'absolu et obsession d'exister. Le réalisateur y place aussi plusieurs références littéraires (notamment Marivaux et Sartre) comme autant de jalons didactiques pour
expliquer le futur parcours de son héroïne et son désir de transmission.
Puis c'est la rencontre avec Emma, l'artiste libérée et indépendante. On assiste à la genèse d'un couple, qui passe d'abord par
l'échange intellectuel, puis par le sexe. Sans fard, et avec une crudité assumée, le cinéaste filme longuement les premiers ébats des deux jeunes filles. Sa caméra
accompagne les corps à corps et s'approche au plus près des personnages, comme pour mêler le spectateur à cette initiation érotique. Là, les tics de mise en scène de
Kechiche refont surface : non seulement la séquence est étirée mais elle se répétera plusieurs fois par la suite, sans réellement se renouveler. Exactement à l'image
des interminables séquences de danse dans La graine et le mulet et Vénus noire.
Autre caractéristique du cinéma de Kechiche, le fonds "social" qui se manifeste dans La vie d'Adèle de manière au départ insidieuse et presque anecdotique. Emma
vient d'un milieu éduqué et artistique, les parents d'Adèle sont des gens simples issus du prolétariat. Deux séquences de repas, dans chacune des deux familles, donnent habilement le ton : les parents d'Emma s'étonnent de la vocation d'institutrice d'Adèle (on sent qu'ils désaprouvent son manque d'ambition), ceux d'Adèle sont effrayés par les aspirations artistiques d'Emma, qui ne leur semblent pas mener à "un vrai travail". Les deux amoureuses en rient, et se moquent gentiment.
Pourtant le fossé entre elles ne fait que s'accroître avec le temps. Tout bascule lors d'une soirée festive organisée chez elles. Les deux jeunes femmes se sont
enfermées dans des rôles stéréotypées (artiste accomplie pour l'une, maîtresse de maison hors pair pour l'autre) et semblent à des kilomètres l'une de l'autre.
Kechiche fait passer ce malaise à travers de petites choses : un regard navré quand Adèle explique qu'elle est institutrice, l'insistance d'Emma pour lui faire embrasser une carrière d'écrivain, la manière dont Adèle s'investit dans la supervision de la soirée, s'assurant en permanence que chacun a ce dont il a besoin... Malgré une façade heureuse, on devine que la vie les a rattrapées. Comme dans n'importe quel couple.
Dans cette seconde partie, moins vive et plus convenue, le pessimisme est de mise : les élites méprisent ceux qui se chargent pourtant de la transmission du savoir,
l'amour le plus fou ne peut rien contre le cloisonnement social, les idéaux de la jeunesse se flétrissent avec les années. En cessant se teindre ses cheveux, Emma (Léa Seydoux, belle et ambiguë) se renie elle-même. Elle s'installe dans un confort bourgeois plus rangé (voire fade) mais plus en adéquation, finalement, avec sa véritable personnalité. Adèle (Adèle Exarchopoulos, véritable révélation), au contraire, reste fidèle à ce qu'elle est.
Qu'il s'agisse de son amour pour Emma, ou de sa vocation d'enseignante, elle "ne lâche rien" (comme elle le chantait avec enthousiasme dans une scène de manif au début du film). Le coeur ravagé mais l'espoir en bandoulière. Bouleversante et ultra sensible, à l'image de ce qui est probablement l’œuvre la plus captivante de Kechiche. Le cinéaste de l'authenticité est ainsi parvenu à réaliser l'un des rares grands films sur l'homosexualité, tout en livrant sur l'amour un propos universel qui ne cache rien de l'intime.
MpM
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