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L'exercice de l'état
Certain Regard
France / sortie le 26.10.2011
LA RECONQUÊTE DU POUVOIR
"- Depuis une semaine, je dis que je ne serai pas le ministre de la privatisation ! Alors je fais quoi ?
- Privatisez."
L’exercice de l’état signe le grand retour du film politique, plus inspiré par les rouages du pouvoir que par le destin particulier de ses grands commis. Il est même totalement décontextualisé, évitant ainsi toute ressemblance avec des personnages réels, et gommant surtout les éventuels effets partisans. Cela donne une intrigue réjouissante, pensée comme une parabole universelle sur les aléas du jeu politique, où la lutte perpétuelle entre convictions et ambitions a des accents de tragédie grecque.
Pour son deuxième long métrage, Pierre Schoeller s’érige en effet en sociologue désireux de décortiquer les mécanismes du pouvoir, plus qu’en trublion qui se contenterait de les moquer. Son scénario, brillant, mêle la finesse de l’observation à l’intelligence de l’écriture. Les dialogues sont vifs et enlevés, les situations à la fois familières et édifiantes. Plusieurs scènes frappent par leur justesse et leur force dramatique, telle cette interview surréaliste où le ministre répète au téléphone ce qu’on lui dicte dans son portable, ou encore la séquence où Gilles écoute le discours de Malraux.
Mais ce qui frappe le plus, ce sont les personnages, complexes et ambigus. Face à un Olivier Gourmet imposant en ministre dérouté par les contradictions auxquelles il est confronté, Michel Blanc compose un directeur de cabinet lyrique et carnivore, à la fois déterminé et idéaliste. Le duo interroge savoureusement toutes les combinaisons des relations humaines : complicité, amitié, colère, ingratitude, trahison… Tout le spectre y passe dans un savoureux mélange de réalisme et de démonstration archétypale.
A bien des égards, L’exercice de l’état évoque Pater, autre flamboyante comédie humaine sur le pouvoir et ses jeux de dupe. Ainsi, le ministre semble un pion sur un échiquier qu’il ne maîtrise pas, et où les règles changent au fur et à mesure qu’il progresse. Autour de lui, son équipe est omniprésente et indispensable, jusqu’au moment où elle devient encombrante. On veut du "sang neuf" pour donner l’impression de se renouveler, du paraître pour séduire l’électorat. Tout est calculé, sous-pesé, programmé en fonction d’un seul et unique but : durer. Et tant pis si les intérêts des uns et des autres sont contradictoires. Le véritable homme politique se reconnaît au fait qu’il s’en sorte toujours, car il sait prendre les bonnes décisions. Quitte à mettre sous le tapis convictions, certitudes et idéaux.
Car au final, ce que Pierre Schoeller nous montre de la chose politique est plutôt désenchanté, voire cynique. Les êtres humains y sont broyés par l’appareil, sacrifiés par leurs amis, et finissent par se trahir eux-mêmes. Pourtant le réalisateur ne blâme personne, si ce n’est un système dévoyé qui ne cherche qu’à s’auto-consolider, au détriment du bien commun comme de celui de ses serviteurs. Le monstre, dans L’exercice de l’état, n’est pas un individu spécifique, assoiffé de pouvoir et d’honneurs, mais le pouvoir lui-même, qui consume ceux qui le convoitent. La démonstration est d’autant plus jolie que le film renoue avec une longue tradition de cinéma politique plus soucieux de décortiquer froidement la réalité que de la rendre présentable.
MpM
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