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La piel que habito
Sélection officielle - Compétition
Espagne / sortie le 17.08.2011
PEAU DAMNÉE
« Tu n’es pas mon fils, je t’ai juste mis au monde.»
Almodovar nous plonge dans le noir. Il y a bien du rouge sang pour coloré son polar esthétique, de l’humour (plutôt noir lui aussi) pour désamorcer l’horreur de ce qu’il raconte, mais La piel que habito est un film claustrophobique et tourmenté. Il s’agit surtout de son œuvre la plus perverse. Un summum de vice et de masochisme.
Il n’est pas possible de raconter l’histoire. Même quelques indices. Ce serait révéler tout ce qui fait l’intérêt du scénario : son machiavélisme. Découpé en trois parties, ce Frankenstein des temps modernes est une vengeance tordue amenant à un « twist » final qui nous fait comprendre l’ensemble d’un puzzle effroyable (pour chacun des protagonistes, que l’on plaint beaucoup). Le présent et le passé s’entrechoquent dans des esprits aliénés.
La folie de mon secret
Car en premier lieu, il y a la folie : celle causée par la perte d’un être cher, celle provoquée par des pilules interdites ou par des médicaments autorisés (soi disant pour contrôler les névroses), ou encore celle des gènes, de cette mère qui a enfanté deux êtres diaboliques. La piel que habito c’est un pacte, forcément sanglant, avec le diable, où l’éthique médicale, la morale humaine et la science s’affranchissant de Dieu font beau ménage.
Adapté du best-seller de Thierry Joncquet, "Mygale", on comprend bien que la Veuve noire est un homme (Banderas) qui emprisonne sa proie dans sa villa-clinique à l’instar d’un insecte pris dans une toile. Mais le cinéaste prendra son temps pour nous faire connaître l’identité réelle de cette animal a priori condamné. Avec son grand art de la narration, où les scènes se font échos pour ne jamais nous perdre, il va nous faire découvrir cette résidence – piège, véritable dédale psychologique où il enferme ses propres traumas, les soignant avec application. La mère rode, prévenante, protectrice. On pourrait croire à une allégorie : l’esprit malade d’un homme traduit en un huis-clos avec ses escaliers, ses pièces fermées, ses tableaux où les corps érotiques de la Renaissance côtoient d’autres œuvres picturales avec des êtres sans visages. Les vrais corps deviennent des poupées avec des coutures ou au contraire des monstres de bestialités.
Car Almodovar tient là un sujet fondamental dans son cinéma : le corps et la chair, le visage et ses expressions. La chirurgie est capable de tout – qu’elle soit médicale avec la greffe ou esthétique digne de la haute-couture – mais quid de notre caractère, de notre identité ? Le réalisateur poussera sa théorie à l’extrême…
En chair et en nerfs
C’est aussi un film à la morale ambivalente. Le coupable se retrouve victime, la victime devient coupable : il n’y a pas que la chirurgie qui est transgénique… Et cela va plus loin puisque tous les personnages muent ou se dédoublent. Une mère avec ses deux fils, une proie, un « créateur » qui se fascine pour sa créature et dérange les codes de leurs sexualités. Cette schizophrénie, qui accompagne la folie de chacun, les isolent, les condamnent à ne pas pouvoir vivre normalement un simple rapport charnel, toujours douloureux. Lorsque le chirurgien regarde Véra sur un grand écran, l’amour virtuel semble bien plus fort.
Le cinéma d’Almodovar s’offre aussi un peu de greffes (une petite musique électro, une arme blanche plus tranchante que d’habitude, la sensualité y est beaucoup plus froide…) tout en conservant ses gènes (de Attache-moi à Tout sur ma mère, les références ne manquent pas). Comme pour La Mauvaise éducation, ce film d’hommes navigue dans des eaux plus sombres. A cause d’eux, les femmes sont proches de la démence, ou inexistantes. La beauté apparente ne peut pas cacher le monstre qui est en nous.
Le réalisateur a ouvert son cinéma à la folie la plus étrange, nous faisant sympathiser avec ces Diables. On se surprend à avoir de la compassion pour le fauteur de troubles. Mais ne nous trompons pas de sujet, il s’agit de génétisme, d’identité, de biologie et de physique. Une seconde naissance.... L’œuvre est construite comme une spirale, comme l’ADN, avec l’hérédité, la mutation et la reproduction ; ces trois termes résument les éléments fondamentaux de ce film noir. Comme les personnages, l’histoire se dédouble dans le temps, et ne produit, qu’à la fin, l’identité du seul survivant, dont l’image est la réplique d’un fantasme regretté. Comment vivre ainsi… De quoi nous coller à la peau longtemps et d’être hanté par cette tragédie horrible.
vincy
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