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We need to talk about Kevin
Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 28.09.2011
LA MÈRE ROUGE
« Maman était heureuse avant que Kevin n’arrive, tu sais. »
On est presque ébranlé par cette histoire entre une mère peu maternelle, mais qui s’y efforce, et un fils méchant, et qui l’assume. We Need To Talk About Kevin aurait pu être une grande tragédie cinématographique, à l’instar de films récents comme Incendies ou L’étrangère, dans des registres un peu différents. Mais Lynne Ramsay a voulu être trop perfectionniste. A moins que l’absence de cinéma pendant 9 ans ne l’ait conduite à un plaisir trop gourmand…
Tout comme la mère, le film est divisé en deux. Une première partie, techniquement – de l’esthétique au découpage – brillante. Construite comme un thriller où les flash-backs s’entremêlent, brouillant les pistes, cette moitié de film révèle tout le génie de Tilda Swinton, la maestria de la cinéaste et l’ampleur de l’histoire. On se demande d’ailleurs si WNTTAK tiendra sur la longueur, on craint même à certains moments, quand le film change de rythme qu’elle n’y parvienne pas, jusqu’au dénouement final qui nous bouleverse.
En apparence factice, l’œuvre est heureusement incarnée par une comédienne capable de tout jouer : on l’admire à travers les époques, entre ses périodes euphoriques, angoissées et dépressives. Elle habite son rôle avec humilité, malgré les coups du sort subis, les humiliations, les remords.
Dans cet univers rougeoyant – tout nous est peut-être un peu trop signifié – où la direction artistique précise (des t-shirts aux conserves de tomates) nous dévoile peu à peu le cauchemar vécu qui la hante, le film serpente entre une montée en puissance vers le carnage et le poids de la responsabilité, de la culpabilité de cette mère qui a tout vu venir mais n’a rien pu faire. Elle prend tout le poids de cette souffrance sur les épaules, plie mais ne rompt pas.
Le film débute avec une orgie de sauce tomate. Hallucination ? Souvenir ? La félicité se lit sur le visage de cette femme qui va se réveiller groggy, défaite. Sa voiture, les murs de bicoque où elle réside sont vandalisés par de la peinture rouge. Vif. Comme les nerfs peuvent être à vifs, comme une femme qui est encore vivante. Tout au long du film il faudra retirer ce rouge, des murs, des fenêtres, du sol. Se laver, retirer ce qui entache sa réputation.
L’atmosphère est tendue, l’hostilité est palpable, la terreur est perceptible. Ramsay n’abandonne jamais son style audacieux et séduisant, mais ne quitte pas non plus son propos et ses méandres narratifs. Le film est comme le destin de cette femme : lunatique. Entre chocs et sensations, bonheur perdu et aspirations. Autrefois aventurière, voyageuse, adorant les pays les plus exotiques, elle doit désormais s’évader d’un cauchemar, et affronter une jungle où elle est condamnée d’avance. L’épanouissement personnel n’est plus au programme depuis qu’elle a mis au monde Kevin.
Cible épouvante
Et là, il nous faut parler de Kevin. C’est sans aucun doute le plus gros défaut du scénario et du film. Le talon d’Achille. Le personnage, trop linéaire, trop binaire, contraste avec l’ensemble, qui n’a rien de manichéen. Surjoué par Ezra Miller, mauvais dès sa naissance, détestable à chaque plan, ce garçon, trop lucide, trop manipulateur, n’évoluera que dans les derniers plans, ce qui sauvera WNTTAK d’un désastre par excès de vanité. S’il oblige la mère à éprouver des émotions toutes en nuances, il se piège en ne jouant qu’une seule note dans cette partition pourtant complexe.
Tel est ce monstre. Coupable d’emblée. Construisant son crime par anticipation, choisissant ses victimes par détermination, ne poursuivant qu’un seul objectif : détruire sa mère. Celle qui a été trop faible, la seule qui le connaissait mais ne pouvait rien faire face à l’indifférence d’un médecin, au déni du père, à l’effroyable intelligence de son fils. Ce dernier n’attendait qu’une chose : que sa mère prenne les devants, le punisse pour qu’il expie ses démons. Aussi dure que lui, elle était la seule personne capable d’arrêter son projet de prendre des cibles pour en faire une histoire d’épouvante.
C’est aussi là que le film bascule dans sa deuxième moitié. Les plans se rallongent, le rythme évolue, les mystères se dissipent. Le sensoriel fait place à l’intellectuel. La dévastation commence à faire place à l’assemblage du puzzle et la reconstruction du personnage principal. Il n’y aura aucune rédemption, mais la réconciliation serait déjà un pas énorme pour l’humanité du fils. Les deux sont dans les enfers, conscients de leur damnation éternelle. Telle mère, tel fils ?
We Will Survive
Deux êtres qui aspiraient à une vie pas banale et qui ont chacun pris un chemin différent, l’une pour se résigner, l’autre pour aller jusqu’à la gloire éphémère. Chacun son pacte avec le diable. L’intrigue aurait pu nous blaser : combien d’histoire d’horreur absolue, de massacres collectifs avons-nous déjà vu ? Mais la mise en scène, malgré quelques longueurs au milieu, s’offre une habileté finale, qui nous refroidit. Un fait qui n’était pas révélé, qu’on était libre d’interpréter avant d’en découvrir la vérité.
Un fait qui change tout notre regard sur l’ensemble du drame. On admire alors la force psychologique de la mère et son emprise sur ce fils, qui plie et rompt. Kevin était perdu d’avance. L’épreuve de force est stoppée nette. Le film aurait pu être un tour de force cinématographique s’il n’y avait pas pu cette facilité d’écriture à l’égard du principal coupable.
Cependant le portrait d’une femme isolée composé par Tilda Swinton restera dans nos mémoires de cinéphiles.
vincy
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