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Blindness
Sélection officielle - Ouverture
Brésil / projeté le 14.05.2008
AGNOS DEI
"Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe"
Il n’y a rien de tel, pour observer l’Humanité, que de la confronter à une situation extrême où, livrés à eux, les êtres humains sont à la fois libérés du joug des règles sociales et contraints par la nécessité impérieuse de survivre. La situation imaginée par José Saramago dans son roman L’aveuglement (qui a servi de base au film) permet une multitude de questionnements sociaux, moraux, psychologiques et même politiques pouvant être résumés en une seule interrogation : jusqu’où est-on prêt à aller et qu’est-on prêt à supporter pour sauver sa propre vie ? Le film transpose ces différents niveaux de lecture et observe la réponse que chacun des protagonistes y apporte. Certains tentent avec altruisme de recréer un minimum de cohésion sociale, d’autres ne voient que leur propre intérêt. Il se crée alors un mélange de pragmatisme, de bêtise, de soif de pouvoir et de retours aux instincts primaires qui débouche forcément sur une perte d’humanité, de ses valeurs comme de ses lois. Et quand il s’agit avant tout de profiter de la situation d’une manière ou d’une autre, même si c’est purement symbolique (voler des objets qui ne sont d’aucune utilité), cela va bien au-delà de l’instinct de survie.
Nécessairement, quel que soit l’enjeu, un rapport de force se crée qui met les altruistes dans une situation intenable : comment réagir face à la violence gratuite ou le pouvoir arbitraire ? Comment faire si ce n’est le combattre avec ses propres armes… quitte à devenir comme lui. Le viol appelle ainsi le crime. Et, comme tout film kubrickien, la bestialité de chacun se réveille...
La démonstration va très loin, n’hésitant pas à basculer dans la barbarie la plus sombre, et personne ne s’en sort grandi, pas plus les oppresseurs que ceux qui laissent faire : lorsqu’arrivés à un point de non-retour, certains se plaignent que "maintenant, cela va être la guerre", on perçoit tout l’égoïsme (l’aveuglement ?) de ces naïfs qui n’avaient pas compris qu’elle avait commencé depuis longtemps. Tant qu’ils n’étaient pas concernés directement, ils pensaient encore avoir la possibilité de s’en sortir sans faire de vague. Manifestation banale de lâcheté humaine et négation de tout sentiment d’empathie ou de solidarité. La dégradation physique, la regression psychique, les conduisent à une dévastation de l'âme et une désintégration de la société.
Face à ce triste constat, Meirelles, dans sa mise en scène, reste d’une sobriété assez exemplaire. Il se prémunit notamment du danger du voyeurisme ou de la complaisance en ayant recours à un rythme nerveux et à de nombreuses ellipses et suggestions. Il travaille également les effets de flou et les fondus au blanc qui évoquent la mystérieuse "cécité blanche", et utilise une lumière laiteuse, très crue, voire blafarde, qui à la fois exacerbe les tensions et enveloppe le huis clos d’un halo presque irréel. On est définitivement dans le domaine de la parabole derrière laquelle chacun met ce qu’il veut, d’une violente critique politique à une prophétie terrible sur l’avenir de l’Humanité. Dans les scènes les plus extrêmes, le cinéaste parvient, musique aux sons variés à l'appui, à nous impliquer dans les moments les plus cruciaux. La direction artistique étudiée nous renvoie l'image, comme un miroir, au film de Cuaron, Le fils de l'homme. Notre monde s'est écroulé... Hélas, il gâche une partie de son effet par l’utilisation d’une voix-off envahissante qui, à trop se vouloir didactique, parasite les différentes pistes de réflexion offerte par le film. Inutile, et trop délibérément signifiant, le monologue du narrateur fait l’effet d’un prêchi-prêcha fourre-tout et manipulateur. Même chose avec la dernière partie (trop longue) qui tend vers le pathos subliminal où la solidarité et l'entraide sont érigés en seuls bouclier face à la barbarie. Du coup le film perd un peu de son envoûtante atmosphère et de son intensité dramatique. Curieusement, le réalisateur tombe exactement dans le travers qu’il dénonce et se laisse aveugler, aux deux sens du terme, par son trop grand désir de délivrer un semblant de réponse, quand il aurait dû laisser chacun apprendre par ses propres moyens à voir ce qui est juste sous ses yeux. L'allégorie parle d'elle-même. Cette science-fiction n'est peut-être pas si éloignée de notre réalité actuelle.
MpM (& V)
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