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Naissance des pieuvres
Certain Regard
France / sortie le 15.08.2007
POULPE FICTION
Pour son premier film, Céline Sciamma évoque la violence des premières fois. Au moment de l'adolescence, donc, et d'un point de vue strictement féminin.
Marie, Anne et Floriane ont 15 ans. Leurs jeunes destins vont se croiser un ét�, dans la moiteur bleutée d'une piscine. Marie est renfermée, un peu garçon manqu�, farouche mais délicate. A l'oppos� de l'exubérante Anne, sa meilleure amie, qui accuse quelques kilos en trop. Et un trop-plein d'amour, qu'elle reconnaît avec humour : � Les pays o� l'on se marie � 14 ans, je trouve ça cool. Si j'habitais l�-bas j'en serais pas l� !� L'humour, Floriane le pratique peu. Belle et glacée, elle séduit tout le monde mais n'aime personne. Pas même son prétendant, François. Tous les jours, elle noie sa frustration dans le grand bassin de la piscine, o� elle pratique la natation synchronisée. Venue assister � une exhibition, Marie tombe sous le charme de Floriane. Sa copine Anne s'amourache de François.
Tandis que les passions se révèlent, s'effrite leur amiti�.
Le scénario est de facture assez classique. On a déj� vu ce type de marivaudages adolescents au cinéma. Mais Céline Sciemma, scénariste de formation, sait poser des personnages consistants. Ces trois jeunes filles sont des êtres esseulés, passionnés, � la recherche d'un absolu. Coupées du monde des adultes, isolées des garçons jusque dans les vestiaires de la piscine, elles apprennent par elles-mêmes, en tâtonnant, se cognant avec violence contre la vie.
Intelligemment, la jeune réalisatrice prend soin d'évacuer les sempiternelles scènes de confrontations ado-parents, pour mieux se concentrer sur les souffrances de l'âge ingrat.
Celui de la cruaut� des rapports amoureux, de la crudit� des mots et de la brutalit� du désir. Un regard lucide et réaliste sur l'adolescence, � mille lieues de la lourdeur des teen-movies habituels type American Pie. On serait plus proche de la délicatesse de Virgin Suicides de Sofia Coppola, et surtout de My Summer of Love de Pawel Pawlikovsky, avec le même spleen féminin mais sans l'onirisme mélancolique et cotonneux.
La réalit� est plus frontale ici, parfois triviale, vulgaire ou même comique, toujours intense. Difficile de s'en évader. Seules les séquences de natation synchronisée offrent un échappatoire, une fuite harmonieuse et chorégraphiée, comme un rêve rassurant, berc� par la bande-son planante du producteur du groupe de rap français TTC, Para One. Une scène, très belle, quasi-documentaire, montre ainsi l'émerveillement de Marie lorsqu'elle découvre, fascinée, le travail sous-marin des danseuses de l'eau. L'effort, la souffrance derrière la grâce et la beaut� de Loriane sont ainsi dévoilés avec subtilit� dans cette séquence, qui traduit aussi la naissance d'un désir. Celui de Marie, qui se découvre homosexuelle, envoûtée par la pieuvre Loriane.
Mais Cécile Sciemma ne recherche pas l'effet facile de la crise identitaire homo. Ce qui compte ici, c'est la souffrance de la passion. Un asservissement qui conduit Marie � se dépuceler elle-même, de sa main hésitante, la manipulatrice Loriane. Une scène choc qui répond � une autre, magnifique, o� Marie ausculte en cachette les ordures de sa muse. Comme pour en déceler la part sale, inavouée. Un trésor pour elle, une joie et une souffrance, sur les traces de Truffaut. L'amour � 15 ans, nous dit Cécile Sciemma, c'est manger une pomme dans une poubelle.
eric vernay
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