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Three Times
Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 16.11.05
NOS PLUS BELLES ANNÉES
"Pas de passé, pas de futur. Juste présent vorace."
Billard à trois bandes. Trois époques. Le temps des amours. Les années 60, inconscientes, rafraîchissantes. Le temps de la liberté. Les années 10, traditionnelles, enrichissantes. Le temps de la jeunesse . Aujourd'hui, égocentriques, déprimantes. Trois histoires d'amour différentes. Two shots of Happy, one shot of sad. Hou Hsiao Hsien a réalisé une oeuvre intelligente où le triptyque ne trouve sa pertinence et sa cohérence qu'en assemblant les trois morceaux.
Indépendamment, chaque épisode aura ses adeptes. Incontestablement, le plus réussi est le premier. Digne des meilleurs instants d'un film de Wong Kar-wai, Le temps des amours nous séduit avec grâce. Roman photo et airs de crooners, il est la preuve intangible que l'amour idéalisé peut exister et se concrétiser, sous la pluie (c'est pour le romantisme), en rapprochant deux mains. Pour nous faire rêver à demain.
Arrive alors le second volet. Le plus audacieux car la narration y est plus complexe. Un contexte politique dense se mélange à un procédé logique pour l'époque qu'il raconte : du cinéma muet. Cartons inclus pour nous faire lire les dialogues. Le son et l'image jouent les intrus anachroniques. Three times installe là toutes les formes que pourront prendre l'oeuvre, par essence polymorphe. Les fondus au noir s'enchaînent entre les plans. Le langage du cinéma s'invite dans une histoire en huis-clos, où l'amour n'est qu'une idée parmi d'autres. Notre intérêt en souffre, un peu perdu dans ses palabres politiques. C'est la tentation et le désir qui nous font regarder ces fleurs de Taïwan.
Puis nous passons d'un siècle à l'autre. Brièvement. Les prises de tête sont publiques et dramatiques. La gravité amène une détresse inattendue, inquiétante. Notre époque ne sait plus être inconsciente et légère. De 1913 (environ) nous zappons à 2005. Plongeon brutal. Sensation intéressante. Le troisième opus est en effet le plus court. Hélas. Il est aussi le plus superficiel. De là naît une frustration, celle de suivre nos tourtereaux vers une fin de cinéma. Mais c'est ici, aussi, que nous comprenons l'intention du cinéaste, et donc notre voyage... Bien sûr Le temps de la jeunesse déséquilibre le film dans son entité complète. Nous partons d'une jouissance pour arriver à un orgasme précoce, que l'on confond avec une crise épileptique. L'ellipse ne fonctionne qu'à moitié et gâche ce qui s'avère le film le plus ambitieux du réalisateur, car le plus périlleux dans son aspiration.
Dépassons le cadre. Cette beauté à couper le souffle. Cette mélancolie qui erre dans chacune des images, chacun des sons. "Pourquoi les mouettes me réveillent-elles de mes rêves avec leurs cris si tristes qui percent mon coeur?" La tristesse transperce tout le film. Tristesse de perdre l'innocence et le charme des premiers pas d'amoureux. Allons au-delà de la bande son élégante, séduisante, sublime.
Ce que Hou Hsiao Hsien nous montre à sa manière - avec lenteur et contemplation, esthétisme exacerbé et comédiens magnifiés - c'est l'évolution des relations humaines. De 1911 à 2005, tout a changé. Les temps qui changent disaient Téchiné. Pourtant c'est plutôt Proust qu'il faut invoquer avec cette recherche du temps à retrouver. Le temps passe. Le temps qui reste. Pas de présent, pas de futur. Juste un présent, filmé a posteriori.
Et que note-t-on? Chaque époque est rythmée dans le tempo de son "temps". Ainsi 2005 commence dans le mouvement. Car tout s'est accéléré, jusque dans le rapport passionnel. On s'embrasse et on se dessape à vitesse grand V. La pudeur disparaît. La bisexualité apparaît. A la lenteur des années 10 succède la vélocité contemporaine. Au séparatisme politique annoncé à la fin du second segment succède l'union d'un couple sur une moto. Au silence succède le bruit permanent de la métropole. A la grande crise d'un pays succède la petite crise perso d'un personnage.
De même on communique différemment : après le temps des letters et des chansons (Rain and Tears donne le La), celui des chants traditionnels et des poèmes, vient l'ère des musiques électroniques et des SMS. Le discours amoureux n'a pas besoin de discours justement : alors il profite du moment, du silence, de la chair... Les jeunes ne sont plus les mêmes, mais ce sont toujours des jeunes. En 2005, l'amour et la liberté sont des valeurs acquises. La jeunesse se retrouve désemparée. Elle vit dans un monde davantage extérieur, l'agressant en permanence. L'épilogue moderne démontre que nous avons tout accéléré. La foule (des villes, des boîtes de nuit) remplace l'univers rassurant de quelques habitués d'un lieu de perdition (bordel ou billard). L'intimité n'existe plus. La patience non plus. Le comble pour une oeuvre à la fois intime et patiente.
Pas de risques finalement ici d'être épileptique devant l'image. L'élégance (jusque dans le bruit des boules de billard qui s'entrechoquent) de l'oeuvre pourrait presque nous hypnotiser et nous endormir. Mais regardez de plus près : le décor, en soi un personnage, avec lequel on joue. La lumière qui devient le principal instrument du metteur en scène. Et ces deux comédiens, beaux, qui savent traduire la beauté de chaque geste. Car les gestes aussi ont changé, ne serait-ce que pour ouvrir une enveloppe ou allumer une cigarette. Souci du détail. On ne touchait pas. On n'embrassait pas. On baise. Voilà trois époques, celle des espoirs, des illusions et du désenchantement. Mais, après tout, nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve désormais. Alors pourquoi ne pas croire en cette promesse d'un amour absolu?
Amour possédé. Promis. Puis partager. Somptueux et atemporels, les trois chapitres livrent une variation sur l'amour tel qu'il est échangé. Avec un sourire (celui des yeux gris) ou des cris (silencieux). Three times est l'étude comportementale et cinématographique du rite amoureux à travers les âges. Il résulte qu'en un siècle, la philosophie de l'amour a abouti à un plaisir individuel : "soyez vous-même; c'est à vous de décider; n'ayez pas peur; vous êtes libre." Ni société, ni morale, ni autorité pour régir les amours. Et c'est l'inverse que nous voyons... Three times ponctue avec magnificience notre fascination pour la création d'un couple. Deux rôles dans un film à la fin improbable? Car le temps s'est décidé à avoir le dernier mot : la jeunesse ne dure qu'un temps. Les amours, eux, sont éternels...
vincy
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