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Production : Dog Eat Dog, Wild Bunch, Miramax Réalisation : Michael Moore Scénario : Michael Moore Montage : Kurt Engfehr, Christopher Seward, T. Woody Richman Photo : Mike Desjarlais Distribution : Mars films Son : Francisco Latorre Musique : Jeff Gibbs Durée : 112 mn
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Fahrenheit 9/11
Sélection officielle - Compétition
USA
Rarement film n'aura suscité tant de controverse. Mais la volonté initiale de son cinéaste était bien de faire parler de lui, de cet objet cinématographique étranger, entre pamphlet et film politique. En pleine campagne électorale américaine, ce qui rend le documentaire assez provisoire dans son motif, Fahrenheit 9/11 s'inscrit en critique de la politique du Président élu depuis 2000.
Michael Moore s'est très vite positionné en activiste anti-Bush, jusqu'à soutenir un candidat aux primaires démocrates, le General Clark. Moore fut un soutien plus embrassant qu'enthousiasmant. Ses prises de position, parfois radicales, parfois simplistes, souvent justes, mélange de démagogie et d'information factuelle, ont gêné plus d'un partisan démocrate. Connu (les membres du congrès le saluent, Bush lui conseille de changer de métier), sa détermination ne l'empêche pas quelques coups gonflés.
La notoriété de Moore a explosé en 2002. Cette année là Bowling fo Columbine est présenté en compétition officielle à Cannes, et remporte le Prix du 55ème anniversaire. Le documentaire traite avec brio de la folie des armes aux USA. Il sera couronné d'un césar du meilleur film étranger et d'un Oscar du meilleur documentaire. Son speech allait marquer les esprits. Les USA envahissaient l'Irak. Moore vilipenda Bush en direct ; on lui coupa le sifflet. Il tenait son sujet. Il se veut héraut du petit peuple, défenseur des causes perdues, arme de destruction idéologique face aux lobbys. Il commença avec le chômage contre General Motors, qui déjà établit des records dans la catégorie documentaires. Puis il s'attaqua aux délocalisations contre Nike. Ses détours par la fiction (Canadian Bacon, sélectionné à Un Certain regard) furent moins heureux. Il publie aussi des livres brûlots (Mike contre-attaque, Tous aux abris). Ses livres dominent les listes de best sellers aux USA, en France, en Allemagne, au Royaume Uni... Mondialisation de la pensée alternative oblige. Moore a 50 ans cette année, et avant de s'attaquer à l'industrie pharmaceutique, va proposer un match de catch, où les dés sont pipés, mais les paris incertains. Moore, malheureusement, a plus de visibilité et de conviction contre George W. Bush que le candidat démocrate, un peu trop rapidement investi, John Kerry.
L'enjeu est simple. En 1972, malgré les scandales, le Vietnam, les mensonges de l'équipe Nixon, celui-ci fut réélu. Pour démissionner peu de temps après à cause du Watergate. En 1976, après la faillite des années Nixon-Ford (crise économique, traumatisme du Vietnam, coût du pétrole), un démocrate éclairé, peu belliqueux, sudiste, James Carter, fut élu. Prix Nobel de la Paix, le Président fut l'architecte de Camp David, entente cordiale entre l'Egypte et Israël. 2004 sera-t-elle l'année où l'on reconduit Bush (et sa corruption, ses égarements, son arrogance, une forme de fascisme latent) ou, par défaut, l'élection de Kerry?
Le film de Moore commence par la victoire volée de Bush sur Gore. Et finit sur l'Irak. Il passe donc à côté des contradictions de la politique familiale, économique, sociale, et étrangère du gouvernement Bush. En revanche il dénonce avec justesse ses décisions incohérentes au niveau militaire ou budgétaire. On peut croiser les faits avec le documentaire de William Karel (Le monde selon Bush) : la protection de la famille Ben Laden par les USA, les relations troubles du groupe Carlyle, le poids des amitiés pétrolières...
Cela s'arrête là, puisque Moore fait dériver son film vers l'émotion et l'injustice de la guerre.
Pourtant, certaines allégations mériteraient d'être recoupées. Il est affirmé que l'Arabie Saoudite gérerait 6 à 7 % des actifs boursiers américains et représenterait un investissement global de 860 milliards de $. Chiffre impossible à vérifier nulle part, mais plausible (il faut bien recycler les pétro-dollars). On peut aller plus loin : ce régime féodal, méprisant la femme, condamné par la plupart des ONG humanitaires berceau du terrorisme, n'est pas un investisseur ni un partenaire comme les autres. Les USA investissent ainsi plus d'argent en Arabie Saoudite qu'en Israël! On estime que le poids financier de ce pays est à peu près égal à celui des Etats Unis dans le monde. Il a fallu le 11 septembre pour déstabiliser cette amitié pétrolière (les Américains produisent les voitures, les Saoudiens fournissent l'essence) vieille de 60 ans. La carpe et le lapin, cette alliance entre un régime ultra-démocratique et un autre quasi-médiéval.
C'est là que Moore ne va pas assez loin et ne dit pas tout ; il minimise l'enjeu stratégique de la Guerre en Irak (la justifiant rarement). Il oublie de mentionner que la main mise des réserves de pétroles irakiennes sert à diminuer la dépendance énergétique et politique des Etats Unis par rapport à l'Arabie Saoudite. Il omet de signaler que les attentats d'Al Qaida ont pris comme origine un seul motif ; la présence des troupes américaines sur le sol des lieux saints de l'Islam. Il ne dit pas que l'Arabie Saoudite a commencé à redistribuer les cartes de son pouvoir en signant un pacte commercial important avec la Russie. Et que dire de la situation paradoxale où le Royaume saoudien aide généreusement la Palestine (plus de 200 millions de $ par an) et a politiquement soutenu les Talibans, deux des épines de la politique régionale des USA.
Mais Moore touche très juste aussi. Il a raison quand il présente le groupe Carlyle : Ce groupe d'investisseurs (profits à rentabilité haute et immédiate) a bien engagé l'ancien Président George H. Bush de 1999 à 2003. L'ancien Premier Ministre britannique John Major fut PDG de la branche européenne du groupe. Il ne s'est retiré du groupe qu'en mai 2004. Le groupe semble une carte de visite gênante. Que dire de ce détail mentionné dans les FAQ de son site Internet : Fidel Ramos, l'ancien dictateur philippin, était membre du conseil de Carlyle Asia jusqu'en février dernier. Etranges amitiés qui obligent le même site à clamer que Carlyle n'a aucun investissement en Arabie Saoudite. Mais qui ne nous dit pas si les Ben Laden ont été investisseurs du Fonds.
Nul ne doute que le temps donnera raison aux différents documentaristes qui se seront attaqués à la nébuleuse de la dynastie Bush. Déjà la Commission chargée d'enquêter sur le 11 septembre a dénoncé quelques fautes lourdes dans la gestion préventive des attentats. Le directeur de la CIA a été contraint à la démission. Le Secrétaire d'Etat Colin Powell mange son chapeau : après avoir menti dans l'enceinte de l'ONU, le voici obliger de revenir sur ses propos et de relativiser la présence d'armes nucléaires ou chimiques en Irak. Pendant ce temps là, Halliburton, multinationale autrefois dirigée par l'actuel Vice-Président Cheney, s'en met plein les poches et surfacture le gouvernement.
Mais Bush n'a pas dit son dernier mot. Certes le documentaire va faire du bruit et même sensation.
Pourtant Disney, propriétaire de Miramax, le producteur de Fahrenheit 9/11, a refusé de le distribuer. La raison est assez simple : outre l'image familiale que véhicule le groupe (et qui ne va pas très bien avec le ton de Moore), Disney, en pleine crise interne sur son avenir, ne désirait pas contrarier Jeb Bush, gouverneur de Floride. Disney y possède son plus grand parc d'attraction, à Orlando, et négocie en ce moment des abattements fiscaux avec l'Etat. Finalement F9/11 sortira avec un distributeur indépendant, et un marketing assez proche de La Passion de Christ de Mel Gibson.
Moore a dédié son film aux victimes de la guerre, aux soldats, aux morts du 11 septembre. Il a coupé quelques scènes d'importance au montage (notamment l'interview de Nicholas Berg, citoyen américain qui fut assassiné en Irak). Il reprend la thèse de la parano organisée par les médias (voir Bowling for Columbine). Peu de faits sont contestables; seule la forme peut gêner puisque l'image est souvent détournée. Le réalisateur s'est arrangé pour vérifier chaque donnée par des experts et des journalistes. De quoi se blinder.
Le film a reçu la Palme d'Or. Une première pour un documentaire depuis Le monde du Silence en 1956. le monde est désormais empli de bruit et de fureur. Avec ses 20 minutes de standing ovation et son orientation politique, cette résistance intellectuelle à bas prix devra surtout toucher les Américains pour avoir l'impact nécessaire.
Déjà Ray Bradbury n'a pas apprécié le détournement de son titre (Fahrenheit 451). Ironique quand on sait que Mel Gibson a failli réaliser une nouvelle version cinématographique du livre de Bradbury et devait produire le documentaire de Moore. Là est l'Amérique : passionnée du Christ et échauffée par la politique de son Président, fervent croyant.
vincy
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