Production: les films de Mon oncle, Specta Films
Réalisation: Jacques Tati
Scénario: Jacques tati, Jacques Lagrange
Montage: Gréard Pollicand
Photo: Jean Badal, Andréas Winding
Musique: Francis Lemarque, Dave Stein, James Campbell
Durée: 125 mn
Jacques Tati : Monsieur Hulot
Barbara Dennek : la jeune étrangère
Henri Piccoli : le monsieur important
John Abbey : Mr. Lacs
Festivalcannes.org
Site officiel Tativille
Tati sur EN
 
 

Playtime (version restaurée)

France / 1967 / re-sortie en salle le 3 juillet 2002
Hors Compétition / Hommage à Jacques Tati/ Présenté le : 19.05.02

Des Américaines débarquent à Orly avec l'un de ces voyages en groupes de l'Economic Airline. Elles visitent un Paris ultra-moderne, où toutes les voitures se ressemblent, où tout le monde est habillé de la même façon.
Une jeune Américaine remaqrue cependant un monsieur déguingandé, qui fume la pipe et se prend le parapluie dans les portes. Un drôle d'olibrius cet Hulot. Il va déclencher une série de catastrophe qui redonnera des couleurs à la ville.
En 1967, quand Tati sort Playtime, son quatrième long métrage, il sort de l'aventure la plus éprouvante de sa carrière.
En effet le film le laisse ruiner; et cette faillite financière va avoir un impact direct sur la qualité du négatif, qui se détériore rapidement. Le montage de 120 minutes - qui obligea Tati à couper pas mal de scènes sous la pression économique - fut celui de la ressortie en 1978. La restauration devenait indispensable : la copie se dégradait, des éléments initiaux avaient été récemment trouvés.
Les illustres Deschiens, soit Jérôme Deschamps et Macha Makaieff, rachetèrent les droits des films de Tati avant que ceux -ci ne s'envolent pour l'étranger. Ils en firent Les Films de Mon Oncle et un projet artistique pluri-disciplinaire. Prenant comme prétexte l'hommage au Festival de Cannes, le lifting de Playtime commença pour une sortie en salles en 2002. 7500 images scannées en haute résolution, et toutes les techniques y compris les procédés d'imagerie numérique, furent appelés en aide. On rallongea certains plans coupés, une bobine fut réparée, des raccords d'images furent corrigés. Même la bande sonore fut reprise en main.
Cette oydssée de la sauvegarde de Playtime n'a cependant rien de comparable avec le tournage même de cette folie. Le décor fut construit sur un immense terrain vague près de Vincennes (à l'Est de Paris). On y voit aussi Orly et quelques bus de l'époque (le 73 et le 24 principalement). La ville fut dessinée par Eugène Roman et imaginée par Jacques Tati. 5 mois et plus de 100 ouvriers pour bâtir cette ville imaginaire étendue sur 15 000 mètres carrés. Tout était grand : même les centrales électriques qui entretenaient le soleil artificiel. Les décors naturels ne pouvaient pas accepter la contrainte du tournage. C'était 6 ans avant l'érection de La Défense, qui selon Tati a "reconstitué le décor de Play Time". Selon Tati, le décor a coûté le prix d'une grande vedette. Mais l'argent pour une fois alla vers les techniciens. Evidemment, tout fut rasé. Et Tati s'en désolait.
Il se navrait aussi de tous ces anglicismes très chics qu'on utilisait à tout va : parking, drugstore, night-club, Quick, ... alors pourquoi pas PlayTime plutôt que Le temps des Loisirs. Il a eu l'audace (la prétention selon certains à l'époque) de filmer en 70mm, réservé d'habitude aux westerns et aux grands spectacles. Mais c'était un vrai spectacle ce Playtime!
D'ailleurs les Deschiens en ont fait une attraction folle à Chaillot en juin 2002. Et puis le filma même le droit à une expo à l'Institut Français d'Architecture. Le 70mm permet justement de filmer en un plan une barre de béton comme l'aérogare d'Orly Sud. Car pour Tati il était très important que l'Architecture domine l'homme, l'impressionne.
Il a voulu faire ce film non pas pour l'écran mais pour l'oeil qui regarde l'écran. Lui a posé son regard dans les aréoports après le triomphe mondial de Mon Oncle. Om voyageait sans cesse pour présenter son film, d'aéroports en hôtels modernes, de capitales en buildings à étages. Playtime est né à ce moment là dans sa tête. Après 3 ans de tournage (Octobre 64-Octobre 67), le film a séduit 1 230 000 français dans les salles à partir de Noël 67. Trois fois que pour Mon Oncle. Un échec financier. Il obtient le Grand Prix de l'Acédmie du Cinéma, et d'autres au festival de Moscou, de Vienne et en Scandinavie. Lors de sa re-sortie en salles en 2002, Tati fait toutes les couvertures de magazine. Ironiquement, il n' a jamais autant influencé les cinéastes contemporains.

 

LE MANEGE ENCHANTÉ

- That's typical Paris!

Le génie de Tati était de juxtaposer un formalisme esthétique plus que parfait à un contenu visionnaire, sous l'apparence d'un univers dérisoire et délirant. Il en ressort une sensasion de légèreté, car la folie douce de Tati l'emporte, mais aussi une impression de malaise avec ce monde uniformisé (et déjà mondialisé) qu'il nous dépeint.
Tati joue évidemment avec la géométrie, passant du carré et du rectiligne au rond en mouvement, de la rigidité et de la froideur au manège bordélique et coloré. Sa ville du futur préfigure toute notre civilisation : le poids des marques, les produits absurdes et inutiles, le voyeurisme (et donc l'absence de gêne avec l'exhibitionnisme) de notre société. En deux actes, Tati dessine les contours d'une ville monochrome, déshumanisée, à la pointe du progrès, où quelques résidus nostalgiques tiennent lieu de témoignage d'une vie passée. Tout semble propre, net, transparent. L'histoire ne fait que se refléter dans les vitres. Le premier acte se joue de ces meubles et technologies sans âmes. Monsieur Hulot se prend les pieds dedans sans d'ailleurs chercher à comprendre cet univers si étranger. On est loin du village de Jour de fête et de la carte postale de bord de mer. Ici l'on voit la résidence de Mon oncle se dresser à la verticale et se multiplier à l'infini jusqu'à emprisonner les gens dans des cubes et les isoler de tous.
Alors quand il les réunit c'est dans un restaurant, à peine achevé. Les couleurs sont un peu plus chaleureuses. Et par sa maladresse légendaire, Hulot cassera tout jusqu'à y foutre un joyeux foutoir. Au matin, cette ville glacée aura trouvé un peu de couleurs et les voitures de toutes sortes avec des personnages fantaisistes, feront du rond point un carrousel en musique. Le trafic joue la parade. Car il faut bien un grain de sable et un personnage aussi lunaire que Hulot pour chambouler toute cette déviance urbaniste préfabriquée. D'ailleurs pas seulement un Hulot, mais plusieurs, des pseudo, des copies, des clones. Mais un seul est inimitable.
Bien sûr, Tati n'a pas tort. Il avait tout compris même : de la malbouffe à la bureaucratie, de la non-communication aux jeux d'apparences. Dans Playtime, peu doutent de ce système qui fonctionne comme une chaîne adepte du fordisme. Il y a Hulot et cette américaine qui cherche le Paris romantique. Anti-conformistes, anti-conventionnels, ces rares personnages se laissent guider par le hasard et s'amusent de tout, puisque cette société est tellement irrationnelle, ou trop rationnelle.
Alors Tati gâche la fête et invente des symboles. Même si le film est lent, il glisse inexorablement vers un monde qui ne tourne pas vraiment rond alors qu'il voudrait être carré.
Il se moque de tout, additionne les degrés de lecture et d'humour dans chaque plan, enrichit toutes les scènes de nombreuses références. Son "jusquauboutisme" lui a permis de créer l'un des plus beaux films du cinéma français, presque intemporel, complètement actuel. Tout y passe : l'attitude de ses contemporains, le milieu professionnel, le commerce, le tourisme, les loisirs, l'obsession de la langue anglaise, .... Aucune image n'est innocente. La lumière verte de la croix pharmaceutique rend le teint vert de ceux qui mangent l'infecte nourriture servie au drugstore. Tout est calculé. Ce film a demandé tant d'efforts, réclamant une telle folie qu'on ne peut être qu'admiratif!
Ce qui est drôle ce n'est pas forcément ce que l'on voit, mais ce qu'il faut voir. Hélas ce rire est souvent amer. La fantaisie est pessimiste même. Jamais les origines slaves de Tati n'avaient autant transpiré dans une de ses comédies grinçantes. Elle est sans doute moins accessible, moins populaire que les précédentes. Elle demeure son chef d'oeuvre cinématographique car la mise en scène est davantageun art qu'une technique. On peut se douter que "c'était mieux avant", qu'il y a du regret, de la peur. Mais Playtime c'est peut être juste "la vie est trop courte pour être triste". Ou tout simplement un éloge à la vie de bohème, celle qui rejette la normalisation. Un hymne à l'individu défendu en 70 mm contre son bourreau architecturé.

  (C)Ecran Noir 1996-2002