Production: Elia Films, Mars distribution
Réalisation: Jacques Nolot
Scénario: Jacques Nolot
Photo: Germain Desmoulins
Montage : Sophie Reine
Musique : Nino (Amor Amor)
Durée: 87 mn
Vittoria Scognamiglio (la caissière)
Jacques Nolot (l'homme de 50 ans)
Sébastien Viala (le projectionniste)
Olivier Torres (l'homme à la robe jaune)
Festivalcannes.org
L'Arriere Pays à Cannes
 
 

La chatte à deux têtes

France / 2002 / Sortie en salle le 20 novembre 2002
Un certain regard / Présenté le : 21.05.02

Un ciné porno hétéro près de Pigalle. La caissière est amoureuse d'un client de cinquante ans. Le client de 50 ans aimerait bien coucher avec le projectionniste. Le projectionniste semble curieux de tout, et aimerait bien dormir avec la caissière.
Dessous, dans les antichambres de l'enfer, les vampires dansent au bal. Des hommes viennent mater un film X. D'autres s'exhibent en femmes. D'autres enfin se font plaisir.
Le sexe les unit.

Jacques Nolot fut d'abord connu comme comédien. Sur les planches dans des mises en scènes de l'acteur Didier Flamand. Devant les caméras pour son ami Téchiné (7 films ensemble), Enrico, Dubroux, Denis (J'ai pas sommeil), Lvovsky, Ozon (Sous le sable). La Chatte à deux têtes est son cinquième scénario (il a écrit J'embrasse pas pour André Téchiné), et son deuxième long métrage, 5 ans après L'Arrière-Pays. Déjà ce film était fortement autobiographique confrontant un parisien à ses origines provinciales, un homo à des homophobes. Le film avait été projeté lors de Cinémas en France (Quinzaine des Réalisateurs).
Ce second chapitre de sa vie était destiné à être une nouvelle en hommage à son fils disparu, Saïd. De textes en textes, l'idée de montrer les fréquentations d'un ciné porno. C'est la volonté de la productrice Pauline Duhault (Jeanne et le Garçon formidable, Le Café de la plage) qui a conduit Nolot à en faire le sujet de son nouveau film. Il précise ses envies : un double décor (la caisse, la salle), des mouvements précis (des travellings pour l'homme en robe jaune, à la manière de In the mood for love). Il tourne au Merri, cinéma aujourdh'ui fermé de la Place de Clichy. Il reste peu de cinémas diffusant du X à Paris. Le film à l'écran existe vraiment, date pas mal. Si le projectionniste est ancien jeune rugbyman dont c'est le premier film (itinéraire comparable avec Stéphane Rideau, qui fut révélé par Téchiné), la caissière n'est pas une inconnue.
Danseuse à l'origine, Vittoria Scognamiglio s'est vieillie pour ce rôle généreux et cru. Elle a joué chez Esposito, Labrune, Giusti (Pourquoi pas moi? notamment), et Hanss.

 

J’EMBRASSE PAS

" - Dans un couple, il en faut toujours un troisième pour les distraire. "

Nolot a le mérite, d’entrée de jeu, de mélanger la politique et la sexualité, une réflexion cérébrale et des pulsions charnelles, la vision du monde, ses grands drames, le regard sur l’humain et ses petites misères. Il est en cela très proche de Téchiné, dans la thématique. Mais là où Téchiné est lyrique, romanesque, esthétique, Nolot préfère la poésie rude, la réalité sordide, et la beauté du laid.
Après son arrière-pays, sorte de retour aux sources à l’air libre, voici l’arrière-salle comme plongée dans son intime dans un espace obscur et claustrophobique. Le film épouse ainsi une tendance artistique certaine : autobiographique, impudique, sexuelle et parfois choquante (pour la masse). Cela attirera les voyeurs, les lecteurs de Millet ou d’Angot, et les quelques cinéphiles désintéressés.
Pourtant Nolot, peut-être à l’aide du pouvoir de l’image, franchit des frontières avec une déconcertante évidence, et même facilité. Surtout qu’il ne livre pas tant que cela sa propre intimité. Il est le regard extérieur, celui qui ne jouit pas, celui qui récite des poèmes, qui écrit. Il est un acteur qui observe ces ombres à la recherche de chair.
La chatte a deux têtes a une vertu : il ne nous donne aucun moyen de juger les comportements exhibés. L’ambiance est pourtant glauque, les relations humaines ne sont que sordides, l’ennui et la tristesse permanente nous semble même pathétique. La seule beauté, la réelle humanité elle se trouve dans les mots apaisants et le sourire bienveillant d’une caissière qui sait très bien que seules les "pûtes peuvent être des saintes , comme Marie-Madeleine". Mais tous sont solitaires. Même leur sexualité est profondément égoïste alors qu’ils partagent les sexes. Ce n’est pas les moindre des paradoxes. Et l’un des mystères les plus opaques que Nolot ne cherche même pas à élucider. Certes il faut peut-être avoir l’esprit large. Derrière ces cérémonies, ces rites, ces réflexes, ces petits gestes qui composent l’accession à un plaisir interdit, pour quelques-uns immoral, il y a des êtres dont la motivation est à chaque fois différente. Dans ce jeu réel, alors que le corps est dévalorisé, le sexe animalisé, les scènes crues provoquent une anesthésie totale des sens. Clinique comme un roman de Houellebecq. Ceux que nous voyons, beaux ou moches, riches ou pauvres, blancs ou noirs, hommes ou travestis, sont-ils dans le racolage ou la séduction ? Pigeons de leurs désirs, pièges à saletés, ils souffrent pour avoir un peu de plaisir. Le fantasme est à bas prix. La peur est ainsi défiée. La mort paraît s’éloigner. Le mal-être, mal dans sa peau, mal dans son corps, se traduit ainsi par une diversité humaine passionnante. Ce zoo héberge de curieuses créatures qui se retrouvent parfois avec la queue entre les jambes avant de détaler de cette chambre des secrets. Martyres ou blasphémateurs, Freud se serait régaler avec de tels cas.
Dommage que l’image ne soit pas plus belle, que le scénario soit trop décousu. Si le film est un peu trop contemplatif, hors du temps même, trop peu onirique pour nous absorber, trop réel pour nous déstabiliser en profondeur, trop proche d’émissions comme Strip-Tease pour nous étonner, reconnaissons que cette Chatte a de la gueule. Non pas pour cette exaltation des angoisses existentielles de son auteur, qui après tout nous indiffèrent un peu ; mais bien pour ce microscope cinématographique pointé sur des âmes égarées dans leur descente aux enfers. Il y va franco, brutalement, sort de bonnes répliques sur le Sida, ne fait que mettre la lumière sur les zones d’ombres que notre civilisation cache hypocritement. Ces gens aux deux visages, bicéphales et souvent bisexuels émeuvent finalement : Nolot parvient à nous rendre compatissant. Il a donné un rôle merveilleux à Vittoria Scognamiglio, humble et chaleureuse comme il le faut. En ces temps répressifs, et moralisateurs, cela fait quand même du bien de voir que l’on peut encore parler de pornographie, de prostitution, avec un discours non pas démagogique mais plutôt empirique. Il ne faudrait pas que ce film soit considéré comme destiner à une communauté ou un public déjà convaincu. Ouvrir les yeux c’est aussi regarder cette Chatte en face, quelques soit la tête.

  (C)Ecran Noir 1996-2002