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J'ai perdu mon corps
Semaine critique - Films en sélection
France / sortie le 06.11.2019
DESTIN ANIMÉ
« On gagne pas à tous les coups. C’est la vie. »
Pour son premier long métrage, le réalisateur Jeremy Clapin adapte avec élégance le roman de Guillaume Laurant, avec qui il signe d’ailleurs le scénario. Une adaptation maîtrisée et réussie qui nous emmène dans un récit intimiste romanesque et sensible où se mêlent et se confondent les genres cinématographiques. Tour à tour film de genre, portrait délicat d’un jeune homme qui cherche sa place, récit initiatique et même rencontre amoureuse, il suit en alternance une main coupée qui part à la recherche de son corps, et Naoufel, un jeune homme qui change de vie par amour. Des flashbacks en noir et blanc viennent en parallèle raconter l’enfance du personnage. Dans ces séquences joyeuses et tendres, les souvenirs apparaissent d’abord sous forme de bribes qui s’imposent à l’esprit plus ou moins rationnellement. Une main de bébé qui laisse tomber une tétine, une main d’enfant dont s’écoule du sable, une empreinte de main sur le sol, un doigt qui saigne… Toute la gamme du toucher convoquée pour raviver le passé. Puis ce sont des séquences plus longues qui laissent entrevoir une enfance choyée et protégée auprès de parents aimants.
Le film trouve ensuite son rythme dans le montage parallèle des mésaventures de la main coupée et de celles de Naoufel. C’est dans cette juxtaposition des temporalités que se tisse le fil rouge du récit, la question du destin et de la manière dont il s’écrit, se suit et se contrarie. J’ai perdu mon corps suit ainsi les trajectoires de ses trois personnages, les montrant à la fois jouets des éléments et pourtant maîtres incontestés de leur existence. Car à chaque coup du sort, Naoufel, Gabrielle et la main coupée rebondissent et ripostent, chacun à sa manière.
Ce récit ténu et à fleur de peau oscille alors entre des moments suspendus, des tranches de vie simple et de véritables scènes d’action. La mise en scène se fait particulièrement précise dans ces passages qui voient la main coupée s’échapper du laboratoire ou lutter contre des rats ou des fourmis. Ainsi, la séquence d’ouverture est d’une virtuosité folle, plaçant la question du point de vue au centre, en choisissant méticuleusement ses angles de vue, soit en « caméra subjective », soit avec l’impression que tout est perçu à travers le regard d’un autre personnage. Autre moment frappant, la scène où la main étrangle littéralement un pigeon, atteignant un sommet de brutalité inattendue.
L’ambiance se fait plus intimiste lorsque l’on suit Naoufel dans son quotidien, entre légèreté et découragement, au fur et à mesure que les épreuves de la vie le rattrapent. Sa rencontre avec Gabrielle, notamment, est un moment capital du film, qui montre le jeune homme et l’interphone en champ contre champ, pour une audacieuse séquence longue et extrêmement romanesque dans laquelle les deux personnages font connaissance sans se voir.
Malgré l’humour de certaines situations, voire l’autodérision des dialogues, c’est une profonde mélancolie qui habite le film, portée par la très belle musique de Dan Levy et les teintes désaturées de l’image, éclairée ponctuellement par quelques touches de couleur vive, comme des gouttes de sang ou le manteau jaune et les écouteurs fluo de Gabrielle. Cette mélancolie sourde est celle des souvenirs et des regrets, la nostalgie d’un temps révolu, un sentiment d’errance. Naoufel, comme la main coupée, comme nous tous, n’en finit plus de chercher sa place dans le monde. La dernière partie, éblouissante et épique, dans laquelle se multiplient les reflets, comme autant d’autres vies possibles, n’apporte peut-être pas la réponse souhaitée par le spectateur. Mais elle permet aux personnages comme aux films de trouver leur propre chemin, à la fois si loin et si proche.
MpM
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