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Etre vivant et le savoir
Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 05.06.2019
LA VIE DES MORTS
« Il me suffit d’allumer l’écran pour lui dire bonjour »
Sans doute est-ce le plus beau titre jamais porté par un film. Être vivant, et le savoir dit en cinq mots toute la condition de l’être humain : être vivant, mais se savoir mortel. Être vivant, comme une habitude à laquelle on ne pense plus. Être vivant, un état de fait qui peut s’arrêter à tout instant.
C’est un peu tout cela que l’on trouve dans ce portrait superbe par Alain Cavalier de son amie Emmanuèle Bernheim. Portrait en creux, perçu par le prisme de leur longue amitié, et qui mêle extraits du journal filmé du réalisateur, passage de son journal écrit, réflexions en voix-off et mises en scène de statues, de pigeons et de courges parfois en décomposition. En filigrane, deux forces qui se combinent : la genèse du film qu’ils n’auront pas réussi à faire ensemble (et qui devait être adapté du Roman de l’auteure, Tout s’est bien passé) et le rapport d’Alain Cavalier avec sa propre mort. « Une répétition, ça me rassurerait » explique-t-il malicieusement à ce sujet. Ainsi cette scène impressionnante durant laquelle Alain Cavalier joue littéralement les morts. « Un exercice de disparition », précise-t-il. Avant d’ajouter : « ça fait du bien de revenir ». Plus tard, il dira encore, au détour d’une phrase : « bientôt, ce sera moi ».
Être vivant et le savoir est ainsi un collage complexe de moments et de souvenirs, de tentatives minuscules de lutter contre l’ironie du sort, de mantras et de confidences à cœur ouvert. Alain Cavalier parle dans un même élan de la mort de son père et de la maladie de son amie, du film qu’ils auraient pris plaisir à faire ensemble, de la vie qui bouillonne jusque dans des courges pourries, et évidemment de la mort, cette grande inconnue si familière, qui nous attend tous au détour du chemin.
Il le fait à sa manière, par bribes et par fragments. Surgissent alors des voix disparues, des images entr’aperçues, des sentiments, des émotions et des sensations du passé. Ce sont uniquement des petites choses en lien avec la présence et l’existence d’Emmanuèle Bernheim qui composent ce drôle de sortilège qui la ramène à la vie. Qui empêche les êtres aimés de disparaître tout à fait. Le cinéma n’est-il pas justement fait pour ça ? Garder éternellement vivants ces corps et ces visages qui s’animent sur le grand écran chaque fois qu’on le souhaite ? Le réalisateur le dit, qui n’a cessé de faire jouer ce rôle de sorcier au cinéma : « Il me suffit d’allumer l’écran pour dire bonjour [à Emmanuèle]. »
Un écran de cinéma pour conjurer la mort, quelle plus belle idée pourrait-on trouver ? Et cette mort dont l’ombre fait un peu plus que planer sur le film, on la sent bien présente dans l’esprit du cinéaste, et en même temps à distance, tenue en respect par l’essence même du cinéma d’Alain Cavalier : une inextinguible étincelle de vie.
MpM
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