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Heureux comme Lazzaro
Sélection officielle - Compétition
Italie
LA LUNE DE ROHRWACHER
«- Je pique les chips.
- Elles sont périmées. »
Le cinéma élégiaque d’Alice Rohrwacher a ses admirateurs. Heureux comme Lazzaro les ravira sans doute, puisqu’elle creuse un peu plus le sillon commencé avec Corpo celeste et poursuivi avec Les merveilles. La campagne italienne, la religion, la communauté sont autant d’éléments récurrents à son œuvre, qui a au moins le mérite d’être singulière.
La fable nous laisse pourtant de marbre. La cinéaste peine toujours à nous embarquer dans sa vision mystique et son cinéma social et religieux. Difficile de ressentir l’humanisme de son propos, et la dénonciation de la déshumanisation comme de l’exploitation de la société, avec des personnages aussi peu empathiques. Pourquoi son héros « ensorcelé », le Saint Lazare, bon et martyr, doit-il être forcément être l’idiot simplet du village ? Etrange paradoxe pour un film sur le partage (des « richesses ») que de réunir autant de figures (aux noms bibliques) soumises et passives face à leur (mauvais) sort, qu'ils ne cherchent jamais à conjurer.
Cette misanthropie qui se cache hypocritement derrière un paravent de bons sentiments et une critique sur l’individualisation de nos sociétés (jusqu’aux nones qui privatisent leur église) ne rend pas le film aimable.
Mais on peut considérer que cette version des misérables (chacun exploite plus faible que soi) n’est pas faite pour les sceptiques. Il faut avoir la foi et croire en l’histoire racontée (ses invraisemblances voulues comme ses séquences absurdes). On aurait aimé qu’Alice Rohrwacher cherche à nous convaincre. Or, Heureux comme Lazzaro prend comme postulat un point de vue qui exclut d’emblée ce qui n’y adhère pas.
Cette vision non inclusive n’empêche pas quelques beaux plans de grands paysages arides, des scènes proches du cocasse et un anachronisme séduisant (dans la première partie). Mais la mise en scène, et l’image en super-16 mm, donne un aspect économe à l’ensemble, accentué par une absence de rythme et un sérieux permanent.
C’est là le principal défaut, à nos yeux, de ses films (et Heureux comme Lazzaro n’y échappe pas) : cette détermination à sursignifier chaque idée, cette volonté de surexposer chaque référence. Ce cumul de métaphores qui s’amoncelle au fil du récit, jusqu’au final tragique, enlève toute subtilité au propos. A coup de crayons à mine épaisse, le cinéaste nous dessine un portrait grossier d’un monde qui a perdu tout sens de l’idéal, esquissant en arrière plan son rêve d’une économie solidaire et alternative, notamment en ciblant les dominants (arnaqueurs) passés et actuels (seul le costume change).
On ne peut rien reprocher au propos politique de ce conte habité par des croyances dignes du Moyen-Âge, autour de gueux et de déchus. Éloge de la décrépitude en deux actes : l’asservissement des paysans dans la campagne italienne ensoleillée et la marginalité des sans abris dans une ville moderne en plein hiver. Binaire.
Mystique et onirique, Heureux comme Lazzaro n’est porté par aucun lyrisme. Ce serait plutôt une sonate funèbre, un peu arrogante, en tout cas pessimiste : la bonté ne semble plus avoir sa place face à la méchanceté impitoyable des personnes, physiques et morales. Lazzaro ne finit pas heureux, et nous non plus.
vincy
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