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Girl
Certain Regard
Belgique / sortie le 10.10.2018
UNE FILLE SUR LE FIL
«Tu es une fille et tu voudrais déjà être une femme.»
Lara est une jeune fille gracieuse et longiligne d'environ 15 ans qui a trouvé sa voie : la danse. Mais elle est doublement déterminée dans sa passion puisque qu'elle sait aussi quel genre de personne elle veut être : une fille.
On ne spoile rien. Lara est née dans un corps de garçon et s’appelle en fait Victor. Mais c'était il y a longtemps. Seule l'introduction du film de Lukas Dhont laisse un doute avec l'apparition d'un physique androgyne troublant. Dès le début de cette histoire on découvre que Lara souffre avec son corps de garçon : elle dissimule ce bout de chair qui pend entre ses jambes, déteste son torse plat. Il n'y a pas beaucoup d'ambivalence d'ailleurs comme le symbolise le titre Girl : c'est un film à propos d'une fille qui veut être ballerine.
L'originalité du récit est de démarrer à un moment où ce désir de changement de sexe est déjà un évènement antérieur. Il n’y a pas d’explication, pas de traumatisme. C’est un état naturel. Girl refuse tous les drames habituels dans ce type d’histoires. Lara en est à l’étape cruciale du traitement hormonal et approche de l’opération chirurgicale qui va la transformer en femme. Tout le monde l’accepte déjà avec son nouveau genre : sa famille, les camarades et les professeurs de son académie de danse, les médecins… Il y a presque une forme de bienveillance qui l’entoure. Comme le spectateur, ils ne voient qu’une jolie fille.
Il n’y a bien qu’elle finalement qui se perçoit comme un garçon, qui rejette ce corps et s’impatiente de le voir se métamorphoser. Ce sont ces différents moments où elle lutte pour remodeler son corps qui vont ponctuer le film en pointillé, et qui font de Girl le portrait déchirant de cette adolescente pas comme les autres.
« Je suis ton père, je sais quand ça ne va pas même si tu dis que ça va.<»
Parallèlement à la transformation assistée médicalement et psychologiquement, Lukas Dhont martyrise aussi le corps de Lara à travers un apprentissage de la danse, proche de la torture physique, d’autant plus quand on a une morphologie masculine à la base.
La danse demande un entrainement long, difficile et très exigeant. L'apparence du corps, le corps en mouvement, le corps en équilibre ou en déséquilibre : la réalisation se focalise sur cette enveloppe poussée à bout. Les plans rapprochés du corps en train de danser arrivent comme des intermèdes entre différentes séquences de l'évolution des interrogations intimes de Lara qui sont communes à toutes les adolescentes. Car, si on pourrait se focaliser sur le combat physique du personnage, dont la souffrance est réellement palpable, le cinéaste privilégie en fait le combat intérieur, psychologique, qui amènera à un drame inévitable.
Ce corps – obstacle n’est pas l’apanage de Lara : le sujet est assez universel dès que l’on est mal à l’aise avec son apparence physique. C'est là tout l'enjeu de Girl : évoquer un personnage transgenre sans appuyer sur certains clichés de rejet ou d'intégration avec ses proches (hormis cette curiosité un peu évidente mais un peu embarrassante aussi de la part de ses camarades). Le film préfère partager divers questionnements intimes qui forgent une identité.
La caméra ne quitte jamais Victor Polster, incroyable révélation du film. Il faut d’ailleurs mentionner Arieh Worthalter, dans le rôle du père, qui élève seul ses deux enfants, parfait en accompagnateur bon et ouvert de ce changement radical. Leur relation est subtilement écrite et évite tout drame inutile tant il ne pense qu’au bonheur de sa fille. En étant aussi solide qu’apaisant, sage que perspicace, aimant que compatissant, il offre au film un personnage auquel s’arrimer quand Lara perd pied.
« Je sais que tu souffres. Encore une fois. Je ne cèderai pas. »
Tout le film tient sur une double quête : devenir physiquement une femme, médicalement, et devenir une danseuse, avec acharnement. Malheureusement, les deux sont peu compatibles tant la danse met en péril la mue opérée par les médicaments. Il faudra faire un choix. Or, Lara ne s’y résigne pas et sombre alors dans une lente dépression, perdant sa lumière intérieure, et refusant toute aide de son père. Entre un rappel à l’ordre naturel et un drame provoquant son destin, Lara sera déchirée par son mal-être. Sans pathos, sans effet surappuyé. En toute logique psychologique.
On sait déjà que Cannes aura été révélateur du talent de ce jeune cinéaste de 26 ans Lukas Dhont dont c'est ici le premier long-métrage, délicat et chaleureux, et on prend donc rendez-vous pour son futur prochain film.
kristofy, vincy
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