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In the fade
Sélection officielle - Compétition
Allemagne
SYMPATHY FOR LADY VENGEANCE
« Mon mari n’a tué personne, c’est lui qui a été tué. »
Autour de faits réels (des meurtres commis en Allemagne, contre des personnes d'origine turque, par des membres d'un groupuscule néonazi), Fatih Akin tisse la trame d'une tragédie humaine et sensible. Au coeur de l’intrigue, les préjugés qui touchent cette femme frappée par le deuil, et son parcours pour s’en extraire. Le cinéaste mêle ainsi joliment des motifs personnels (comment se remettre de la disparition de ses proches, comment faire face individuellement à l’injustice, comment gérer un désir de vengeance…) à des questions plus larges et brûlantes d’actualité comme celles de la montée des extrémismes, du terrorisme, de la recherche collective de la justice. Les réflexions individuelles et collectives s’entremêlent ainsi pendant tout le récit, mais bien sûr Fatih Akin n’est pas là pour livrer des réponses ou donner son avis. Il s’appuie sur la réalité pour amener le spectateur à adopter le point de vue des différents personnages, et à s’interroger : et moi, qu’aurais-je fait ?
Cette ligne directrice l’aide à construire un film mesuré et sobre, presque clinique, qui décortique les différentes étapes suivant un acte de terrorisme. Il y a bien sûr la douleur qui renverse tout, mais aussi l’incompréhension, les doutes, les questions sans réponses, et les stratégies de survie qui se mettent en place. Comme le film est construit (logiquement) en trois actes, le cheminement est précis et millimétré. Le 2e acte est par exemple celui du procès, qui va très loin dans sa restitution quasi documentaire (le cinéaste s’est inspiré du compte-rendu d’un vrai procès) de la justice en train de se faire. Cela donne des scènes très fortes, filmées à distance, dénuées à la fois de complaisance et du moindre sentimentalisme gênant, notamment pendant la terrible lecture des rapports médicaux. On a l’impression d’être au coeur d’une enquête policière réduite à son essence, c’est-à-dire libérée de tous ses aspects les plus romancés ou spectaculaires. Les avocats ne font pas d’effets de manche, luttant pied à pied à coups d’arguments concis et de détails concrets. Les faits sont livrés bruts et sans fard, mêmes lorsqu’il s’agit de décrire l’état d’une victime déchiquetée par une bombe. Et parfois, à la fin, les coupables sont acquittés. Parce que la justice repose sur sur le principe fondamental et inaliénable que le doute raisonnable bénéficie toujours à l’accusé.
Dès lors, la troisième partie explore la réaction d’un mère face à la remise en liberté des assassins de sa famille. Fatih Akin mentionne d’ailleurs dans le dossier de presse du film une citation tirée des Marches du pouvoir : « Etes-vous pour la peine de mort ? Non. Que feriez-vous si quelqu’un assassinait vos enfants ? J’irais tuer cette personne et serais prêt à aller en prison. La société doit être plus intelligente que les individus. » Et c’est exactement cette ambivalence, captivante et essentielle, qu’il aborde dans la troisième partie du film, la plus polémique, et malheureusement la moins aboutie. Le cinéaste n’a pas peur d’attaquer de front le tabou de la vengeance et le spectre de la justice personnelle, mais il le fait avec une certaine maladresse, faisant un peu traîner en longueur la résolution du conflit intérieur qui anime son personnage, et surtout avec des effets de scénario terriblement appuyés. Profitons-en pour souligner l’impeccable performance de Diane Kruger qui atteint ici des sommets de jeu, et compose tout en finesse et en nuances une femme dévastée par le chagrin et la colère.
La thématique, et surtout l’aboutissement de cette dernière partie surprendront les spectateurs familiers du cinéma de Fatih Akin, car bien que la fin permette plusieurs niveaux de lecture, tous sont teintés du même pessimisme désespéré. Peu importe que le cinéaste soit en empathie avec l’acte de vengeance de son personnage, ou qu’il cherche au contraire à le dénoncer. Ce qu’il met en lumière, c’est la surenchère sans fin de la violence rendue possible par une société de plus en plus radicalisée. En gros, In the fade décrit le monde dans lequel nous avons déjà commencé à évoluer, dans lequel vivre tous ensemble au sein de communautés hétérogènes ne sera plus possible qu’au prix d’immenses et fréquentes explosions de violences et de haine. Un monde dans lequel une partie de l’Humanité cherche à détruire l’autre partie, sous prétexte qu’elle ne pense pas comme elle, ou qu’elle ne lui ressemble pas. Un monde dans lequel il devient tout simplement nécessaire de choisir son camp et d’embrasser ses croisades. Un monde dans lequel la violence et la vengeance personnelle ne sont plus seulement des questions théoriques et philosophiques. Un monde dans lequel on ne peut blâmer personne de ne plus avoir envie de vivre.
MpM
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