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120 battements par minute
Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 23.08.2017
DE BATTRE MON CŒUR NE S’EST JAMAIS ARRÊTÉ
«- Je suis content qu’on ait fait éclater l’hypocrisie. »
Dans un festival, on appelle ça une claque. Une belle. Une violente. De celle qui vous tire les larmes et embue les yeux. 120 battements par minutes est un film bouleversant, déchirant, foudroyant.
Qu’on ait vécu ou pas l’époque de la propagation de l’épidémie du SIDA, l’histoire de ces années de combats contre le silence mortel des institutions et contre le cynisme coupable des laboratoires et assureurs touche en plein cœur. Les morts tombent sur le front. L’hécatombe dévaste la jeunesse d’un pays.
Robin Campillo déroule son récit avec une volonté d’être précis, pédagogique, universel. Le virus concerne tout le monde – homosexuels, bisexuels, hétérosexuels, prostitués, prisonniers – même si chacun se croit à l’abri dans ses certitudes. C’est aussi l’ignorance qui tue. Et même une forme d’obscurantisme. Le cinéaste a toujours eu ce goût pour les communautés, pour ces logiques de groupes, parfois illogiques, contradictoires, dissonantes. Il les met en scène avec une gourmandise non feinte, révélant les débats internes comme des preuves d’une démocratie vivace et compliquée. La reconstitution des codes et des règles tout comme l’écriture des arguments et des répliques enrichissent incontestablement et utilement le scénario. Le regard est à la fois critique et bienveillant. La caméra au plus près des visages valorise l’importance à la parole.
« Des molécules pour qu’on s’encule ! »
Le réalisateur n’omet pas de filmer avec une belle énergie les actions d’Act Up, provocantes à dessein, choquantes pour certains. Des activistes traités comme des terroristes, alors que leur rôle n’était que de tirer le signal d’alarme. 120 battements par minute c’est une lutte finale désespérée, avec Smalltown Boy des Bronski Beat en fond sonore. Il s’agit d’une colère bouillonnante où l’amour et la fête servent de soupape. Un amour et une fête un peu gâchés par l’omniprésence de ce « putain de virus », qui plane sur l’écran comme une étoile apocalyptique menaçant l’humanité.
Si le film est frontalement engagé et très vif dans sa forme, le cinéaste trouve toujours un moyen de le dévier vers une forme de poésie et de lyrisme, avec des effets de ralentis qui allègent la dureté du propos. Campillo décrit aussi la vie intense, impliquée et le quotidien pénible, douloureux d’un(e) homosexuel(le). Ces morts en sursis ont conscience de la fugacité de la vie. Ils sont jeunes, beaux, et pourtant leur espérance se réduit au fil de leurs bilans médicaux. Porté par une troupe d’acteurs charismatiques et justes de bout en bout, le film y puise son réalisme, sa vraisemblance, son humanité. Leurs désirs, leurs peurs sont contagieux, sans jeu de mot.
« On n’a pas envie de crever, darling ! »
Progressivement, il nous amène à la rencontre de deux militants, un séronégatif et un séropositif. Nathan et Sean. Ils illustrent ou/et symbolisent tous ces couples qui se sont aimés en flirtant avec la mort. De l’action générale nous allons passer à une situation intime, en écoutant des témoignages qui, à défaut d’être authentiques, font tous échos à des histoires réelles. La maladie est officiellement honteuse, alors on raconte ses souvenirs à ses camarades de guerre.
Pour Nathan et Sean, c’est surtout une histoire d’amour, une histoire universelle, où la tendresse et le cul ont leur place. Et d’ailleurs, la plus belle preuve de cet amour est sans aucun doute cette masturbation unilatérale qui fait jouir le malade dans une petite mort apaisante et touchante. Cette belle relation sentimentale permet au film de cibler nos cœurs. Ça noue la gorge et ça tord l’estomac quand la fatalité s’abat sur ce couple si lumineux. On traverse ainsi toutes sortes d’émotion tant le scénario, entre histoire quasiment biographique d’un mouvement de protestation et récit presque romanesque d’un amour en suspension, est d’une jolie justesse.
On apprécie aussi la finesse d’écriture. Il suffit de voir comment le réalisateur filme la veillée funéraire se transformant en réunion politique, sans que cela ne soit brusque ou indécent. Tout fusionne : l’amour et la perte, le silence et le cri. Cette précision psychologique des personnages et de leur (ré)actions, écrite par l’auteur et interprétée avec perfectionnisme par les comédiens, fait de 120 battements par minute une œuvre profonde et dense, riche et complexe, brutale et humaniste.
Les combattants
Certes, l’air du temps a changé. L’homosexualité n’a jamais été autant acceptée (la France a d’ailleurs fait un bond immense dans le classement des pays favorisant les droits des LGBT) et « en même temps » rejetée (il suffit de voir la flambée des crimes et délits homophobes pour s’inquiéter). Aujourd’hui, le film pourrait prendre comme sujet la santé, l’écologie ou tout autre scandale "impactant" l’homme dans son mode de vie.
Mais en revenant à cette période où une minorité était flinguée dans la fleur de l’âge parce qu’elle tirait son coup avec insouciance, Robin Campillo a sans doute voulu rappeler que le SIDA tuait toujours et n’épargnait plus personne. En réalisant une fresque puissante, avec une série de déflagrations qui chamboulent toutes nos émotions, il signe un film engagé, tragique et combattif, une parfaite réponse à l’homophobie ordinaire. En un plan somptueux et hypnotique, cette Seine de sang, ce fleuve rougeoyant, il nous rappelle que trop d’innocents sont morts. Il ne s’agit pas de désignés les coupables. Mais nous sommes tous responsables.
vincy
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