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Apprentice
Certain Regard
/ sortie le 01.06.2016
PETITS ARRANGEMENTS AVEC LA MORT
"- Pourquoi cette vocation ?
- Pour aider ceux qui sont prêts � changer. "
On a beau avoir l’habitude des films se situant en milieu carcéral, Apprentice semble nous emmener un cran plus loin dans cet univers oppressant et anxiogène en nous confrontant directement avec le quartier des condamnés � mort, et plus précisément avec ceux qui sont chargés d’exécuter ces sentences. Sous prétexte de suivre le jeune Aiman dans son apprentissage au cœur de la prison de haute sécurit�, on découvre les rouages purement administratifs des exécutions et le point de vue de celui qui est charg� de les réaliser depuis plus de trente ans.
Boo Junfeng (Sandcastle, présent� � la Semaine de la Critique en 2010) montre notamment l’opposition flagrante entre les aspects institutionnels de la peine de mort (rituels, règlements) et l’humanit� de celui qui actionne le levier, convaincu de faire œuvre utile, et cherchant � faire un travail le plus "propre" possible. A travers plusieurs dialogues puissants, le réalisateur singapourien met ainsi dans la bouche de son personnage les propos que lui ont tenu les véritables bourreaux rencontrés en amont du tournage, et qui trahissent leurs stratégies d’évitement et de justification morale face � la responsabilit� écrasante d’ôter la vie � des êtres humains.
Apprentice est d’ailleurs tout entier sous-tendu par cette réflexion autour de la peine capitale, qui, si elle n’est jamais abordée frontalement, transpire � la fois dans ce que montre le film (regards, hésitations, gestes suspendus) et dans l’esthétique stylisée qu’il choisit pour les mettre en scène. Les cadres, par exemple, semblent se resserrer de plus en plus étroitement autour du protagoniste principal, qui est souvent film� derrière des grilles ou des barreaux. La faiblesse de la profondeur de champ l’isole également fréquemment dans le plan, comme pour faire écho � sa solitude et ses doutes. C’est que le jeune homme incarne au sens propre toutes les contradictions liées � la peine de mort. De par sa position de témoin, et en raison du secret qui le mine, il est déchir� entre la nécessit� de bien faire et la conviction que les gens peuvent changer et méritent une seconde chance.
Il y a peu de doutes sur le point de vue du réalisateur lui-même, qui a une manière très froide et sèche de filmer les scènes de pendaisons et leurs préparatifs, comme la peur du condamn� et la douleur des familles. Pourtant, Apprentice ne se transforme jamais en pamphlet militant. Au contraire, il propose une vision intime du sujet, presque au plus près des interrogations du personnage, comme en témoignent les nombreuses scènes o� il parle avec sa sœur et tente de s’extraire de son pass�. Véritablement pris entre deux mouvements contradictoires, le personnage se débat durant tout le film avec les ombres de la mort et de la culpabilit�, de la révolte et de la tentation de la rédemption.
Si le dénouement paraît un peu facile, entièrement bas� sur l’à-propos d’un accident grave qui redistribue les cartes, la fin ouverte permet se faire sa propre idée sur le dilemme présent�, et plus largement sur le poids de la peine capitale dans la sociét� singapourienne. Certains éléments de dramatisation fonctionnent moins bien, notamment quand un jeu de chat et de souris se crée artificiellement entre les deux personnages principaux, et Boo Junfeng semble définitivement plus � l’aise avec le non-dit qu’avec la démonstration. Pourtant, il parvient littéralement � nous glacer le sang, moins avec la représentation frontale des exécutions, qu’avec les émotions multiples et contradictoires que provoque chez le spectateur la position intenable de l’apprenti-bourreau. Une force de suggestion sans concession qui emporte définitivement les éventuelles réticences qui pouvaient subsister sur le film.
MpM
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