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Le client (Forushande)
Sélection officielle - Compétition
Iran / sortie le 02.11.2016
MORT D'UN COUPLE DÉMÉNAGEUR
"Soit on porte plainte, soit on oublie cette histoire."
S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas reprocher à Asghar Farhadi, c’est son manque d’efficacité. En seulement deux ou trois scènes, le cinéaste iranien est capable d’installer une situation de départ qu’il ne cessera de faire évoluer au fil du film, chaque nouvelle séquence apportant une couche de compréhension ou de contexte supplémentaire. Ainsi, dès le générique, la métaphore de l’immeuble sur le point de s’effondrer nous met face à un couple au bord de la rupture, même s’il ne le sait pas encore. Comme leurs murs, leur relation se fissure lentement mais sûrement. Un élément déclencheur (il y a toujours un élément déclencheur dans le cinéma de Farhadi) vient accélérer le processus, et mettra au jour le malaise entre eux.
De cette rupture dans leur quotidien heureux (l’agression de la jeune femme dans leur appartement), on ne verra rien, et il faudra écouter les récits morcelés et suivre l’enquête menée par le mari de la victime pour peu à peu en reconstituer les contours. Là encore, c’est une construction classique chez le cinéaste iranien, chez qui tout se noue souvent autour d’un moment fondateur caché au spectateur. Cela permet de laisser planer le doute non seulement sur l’identité du coupable, mais aussi sur les circonstances du drame, et surtout sur son degré gravité. Ici, le mot «viol» n’est jamais prononcé (on est dans un film iranien poli qui ne tient à heurter ni les bonnes mœurs, ni la commission de censure, et sait parfaitement comment ne pas sortir du cadre autorisé), mais il est malgré tout omniprésent.
En plus de cette intrigue aux faux accents de polar (sur le mode du who dunnit), Asghar Farhadi introduit un parallèle avec la pièce Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, que les protagonistes interprètent au théâtre. Même si cela n’est jamais clairement exprimé (contexte politique iranien oblige), Emad et Rana sont comme leurs personnages confrontés à l’échec d’un modèle de société devenu obsolète, et même dangereux. Car ce qui est en cause ici, ce n’est pas tant le contexte économique (les personnages de Farhadi ne semblent jamais souffrir de réelles difficultés financières) que le carcan moral et l’hypocrisie qui régissent tous les aspects de la vie privée comme publique. Étouffés jusque dans leurs désirs les plus intimes, les personnages n’ont plus le mode d’emploi de leur existence, qu’un fétu de paille peut faire chavirer.
Ainsi, l’agresseur est un pauvre bougre que l’on devine en mal de sexualité et pour qui un corps nu représente la tentation absolue (forcément, dans un pays où il est interdit de montrer ses cheveux). La victime est trop traumatisée pour oser porter plainte, et devoir raconter son calvaire à qui que ce soit. Quant au mari, s’il est au départ sincèrement inquiet pour sa femme, on sent peu à peu monter chez lui des sentiments mêlés de colère et de honte, ainsi que le sentiment d’un honneur bafoué. Le scénario se désintéresse d’ailleurs assez vite des conséquences de l'agression sur l'héroïne pour observer les mutations que cela opère chez le personnage masculin. très clairement, le point de vue adopté est celui du mari, qui manifeste plus de rage et d’impuissance que d’empathie et de douleur réelle. La femme est d’ailleurs au finale priée d’arrêter de se mêler de cette affaire, qui la concerne pourtant en premier chef.
En ce sens, le scénario reste très sage, presque balisé, comme s’il suivait mécaniquement des règles d’écriture très strictes, et communes au cinéma iranien dans sa grande majorité. On retrouve par exemple dans Le client beaucoup de similitudes avec Une séparation du même Asghar Farhadi, ou de films de ses compatriotes comme Melbourne de Nima Javidi et Inversion de Behnam Behzadi (présenté en même temps à Un certain Regard cette année à Cannes). Bien que cela soit toujours très efficace, cette méthode d’écriture finit par devenir un système sans grande audace. Surtout si on y ajoute une mise en scène certes réussie dans les scènes d’intérieur, mais là aussi sans grande inventivité, et une juxtaposition constante de conversations pensées pour faire scrupuleusement avancer l’intrigue... mais qui finissent par tourner en rond.
La preuve que le film atteint les limites du genre, c’est que sa dernière partie est à ce titre presque insupportable, avec une perte de vitesse flagrante et une fin interminable mêlant vrais/faux rebondissements, drama inutile et morale douteuse. Le désir d’humilier l’agresseur, exposé presque sans fard par Emad qui se transforme en vengeur implacable, trouve son écho dans la manière dont le cinéaste finit par humilier ses personnages un à un, presque comme pris d’un désir sadique. Cela finit par rejaillir sur le spectateur qui se demande s’il était bien utile de lui infliger une œuvre aussi longue et inégale pour en arriver à une conclusion aussi simpliste.�
MpM
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