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festival-cannes.com

 

Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake)

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 26.10.2016


LA LOI DU MARCHE





"Il y a des règles. On doit les respecter."

L’écran est noir et le générique défile. En fond, une conversation entre un homme et une femme dont on comprendra peu à peu qu'ils sont respectivement le personnage principal du film, le fameux Daniel Blake du titre, et une "professionnelle de santé" chargée de déterminer s'il peut continuer à bénéficier d'allocations invalidité suite à de graves problèmes cardiaques. Rapidement, l’échange tourne au dialogue de sourds, quasi surréalistes. La professionnelle suit un questionnaire-type sans se préoccuper du fait qu'il ne correspond pas à la situation et Daniel, lui, perd peu à peu patience face à ce manque d’écoute. C'est ainsi, sans le voir, juste en écoutant le son de sa voix et l'humour acerbe de ses répliques que l'on fait la connaissance du dernier héros "loachien" en date. Un homme droit, simple et honnête que l'on suit ensuite dans son quotidien, entre visites médicales peu encourageantes, retrouvailles chaleureuses avec ses ex-collègues et chamailleries bon enfant avec son jeune voisin. Presque immédiatement, on aime cet homme-là, et on craint qu'il lui arrive quelque chose de mauvais.

Sans surprise, on est donc dans l'univers par excellence de Ken Loach : personnages sympathiques et bien écrits, forte tonalité sociale, volonté d'entraide et de résistance, humour narquois et ironie face aux difficultés de la vie. Cela fonctionne d'ailleurs parfaitement dans la première partie qui pose avec justesse la situation sociale dans l'Angleterre contemporaine : système d'aides sociales kafkaïen et confié à des entreprises privées plus soucieuses d’efficacité que d’humanité, salaires de misère, rigidité inhumaine des services sociaux... Toute communication apparaît rapidement impossible avec une administration privatisée qui refuse le cas particulier et ne jure que par les règlements, les sanctions et les formulaires à remplir en ligne, considérant leurs interlocuteurs comme de simples numéraux sur des dossiers. Face à cet état des lieux peu glorieux, le réalisateur oppose d'abord, comme c'est son habitude, la solidarité (Daniel se dresse spontanément pour défendre Kathy) et le sens de la débrouille. Mais peu à peu le récit bascule dans un constat plus sombre et pessimiste, entraînant le film du côté du drame, voire du mélodrame.

Bien sûr, le combat de Daniel et de Kathy, filmé avec beaucoup de pudeur, est absolument bouleversant, et l'on ne peut blâmer Ken Loach pour les larmes qui nous perlent spontanément aux paupières. Toutefois, dans la seconde partie du film, le scénario devient malheureusement extrêmement prévisible et mécanique, se laissant même aller à une certaine surenchère dans le tragique, jusqu'à une fin que l'on voit arriver à des kilomètres. Or, au lieu de le renforcer, cela affaiblit le propos du cinéaste qui n’avait pas besoin d’en rajouter pour nous convaincre de l’inhumanité du système et du terrible gâchis humain qui en découle. Malgré le baroud d’honneur de Daniel, et le soutien spontané qu’il reçoit de la rue, le film ne parvient pas à garder son cap de départ, celui d’une comédie certes amère, mais pleine d’allant et d’énergie. On ressort au contraire complètement assommé, avec l’étrange sensation que même Ken Loach ne croit plus en des jours meilleurs.

MpM



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