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Aquarius
Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 28.09.2016
UNE FEMME SANS INFLUENCE
« Quand ça te plaît, c’est « vintage », sinon c’est vétuste. »
En continuant sa chronique des vies de Recife, le cinéaste Kleber Mendonça Filho nous dévoile une société brésilienne toujours aussi fracturée entre les élites et les exploités, les blancs et les peaux foncées, les anciennes et les nouvelles générations. Si, ici, dans Aquarius, le dialogue n'est pas impossible, il justifie la colère qui gronde au sein des humiliés.
Aquarius est une œuvre ample qui, de manière impressionniste, compose par petites touches (un mot par ci, une situation par là) le tableau d'un Brésil en mutation. Mais c'est aussi (surtout?) le portrait précis d'une femme charismatique, battante, franche, incorruptible, ce qui ne l'empêche pas d'être aussi douce, aimante, libérée. Une femme libre merveilleusement interprétée par une Sonia Braga au sommet de son art. She rocks !
Aquarius est le nom de la résidence où elle vit, vieux bâtiment sauvé de la croissance de la métropole, face à l’océan. L’appartement est un lieu de souvenirs, de la commode qui a vécu quelques galopettes jusqu’à la vie commune d’une famille qui évolue avec le temps. Clara y vit désormais seule, aidée d’une domestique complice. Elle n’a plus de voisins : tous les appartements ont été rachetés par une compagnie en vue de raser l’édifice pour y construire une de ces résidences protégées pour riches.
Le scénario raconte mille détails sur le quotidien de cette femme qui va s’opposer à ce géant de l’immobilier, prêt à tout pour lui « pourrir » la vie. Les événements s’écoulent avec fluidité, sans fracas ni rebondissements particuliers (hormis peut-être ce final qui traduit la colère bouillonnante du « peuple »), entremêlant son quotidien et son combat. Kleber Mendonça Filho expose frontalement et pudiquement la vie de cette femme digne et honnête, avec ses faiblesses, s’amusant avec ses copines ou s’énervant contre le discours matérialiste de l’époque. La caméra est toujours placée où il faut pour ne pas nous créer des effets inutiles. Il n’y a rien de didactique. On comprend par la construction du film qui elle apprécie, par les dialogues ce qui l’agace, par la musique (extraordinaire) ce qu’elle ressent ou par l’image qui est tel personnage.
Le roman d'une vie
Cela donne un film ample, captivant et puissant qui se déploie progressivement et suit sa logique implacable, sans épate spécifique. Au passage, il égratigne férocement, mais sans hystérie ni dénonciation didactique, les élites pourries, arrogantes, incultes, racistes et méprisantes, de son pays. Derrière le sourire « lèche-cul » d’un jeune loup aux dents longues, se cache une bourgeoisie blanche où religion et népotisme, liens d’affaires et méthodes ultra-libérales, permettent de continuer l’exploitation des pauvres gens. « Vous n’avez pas de caractère. Votre seul caractère c’est l’argent ». Bien sûr, ce n’est jamais dit comme ça. Le film est subtil et n’a besoin que d’un échange, une image, une anecdote, un mot pour comprendre qu’une femme à la peau foncée reste une ancienne pauvre, issue d’esclaves, qui a réussi.
Et justement, parce que cette critique des élites s’infuse subtilement dans le récit, Aquarius se permet de raconter une belle histoire, presque banale, autour d’une femme, de sa famille et de ses amis. Et c’est pourtant là que réside toute la beauté du film : les personnages sont tous attachants. L’humanité qui s’en dégage produit alors un effet bien plus fort que prévu, comme une déflagration dont on n’aurait pas saisit immédiatement la force : le film parvient à émouvoir, sans larmes. Juste parce que nous avons aimé partager la vie de cette femme durant plus de deux heures. Aquarius est une œuvre touchante, dont le charme nous bouleverse et nous hante longtemps après la fin.
vincy
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