Semaine critique - Séances spéciales
France / sortie le 11.11.2015
LES INTERMITTENTS DE LA LUTTE
"Tu ferais bien de rêver un peu aussi, sinon rien ne changera jamais."
Dès la première scène, on comprend que Les anarchistes ne sera pas ce qu’il semblait être. Adèle Exarchopoulos, filmée en gros plan et presque � contre-jour, parle � quelqu’un que l’on ne voit pas. "C’est l’amour qui m’a fait devenir anarchiste", dit-elle, rendant immédiatement clair pour le spectateur qu’il ne sera ici guère question d’idées et de politique. Car pour Elie Wajeman, l’anarchisme n’est qu’un prétexte comme un autre pour raconter une énième histoire d’amour entre deux acteurs bankable.
Ce passage apparemment oblig� (il semble impossible au cinéma de ne pas faire tomber la jeune première dans les bras du jeune premier, c’est comme ça) finit même par occuper toute l’intrigue, renvoyant toute autre considération dramatique en arrière-plan (on ne parle même pas des aspects politiques). On se croyait dans une sorte de film d’espionnage en costumes, avec traîtrises � tous les étages, et le seul enjeu devient celui de savoir si la relation (illégitime) entre les deux héros finira par être découverte par le conjoint trompé…
Sans doute s’est-on tout simplement tromp� de film : sur un malentendu inexplicable (le titre, peut-être), on attendait une plongée dans les courants anarchistes de la fin du XIXe siècle. Leur nature, leurs fondements, leurs principes ou leurs actions (autres que piller des tombes ou s’engueuler au caf�). Des références aux grands penseurs du mouvement. Las ! Ce n’est même pas "les anarchistes pour les nuls", puisqu’il n’est jamais vraiment question d’idéologie, et on ne retrouve dans ce récit étriqu� ni soif d’absolu, ni souffle romantique, ni quoi que ce soit d’autre pouvant justifier que des hommes et des femmes soient prêts � mourir pour leur idéal. Même le monde ouvrier de l’époque n’est qu’un décor, simple contexte � la rencontre des protagonistes. Il est d’ailleurs bien vite évacu� pour l’intérieur (bourgeois) de la petite bande.
Il ne reste donc rien d’autre qu’un mélodrame sentimental usant et abusant des grosses ficelles du genre : scénario ultra-téléphon�, ressorts dramatiques terriblement formatés, personnages stéréotypés� Le plus gros regret tient d’ailleurs dans le sous-emploi évident des seconds rôles, Swann Arlaud et Sarah Le Picard, personnages les plus intrigants et complexes du film, et pourtant totalement éclipsés par les plus fades (mais plus connus) Adèle Exarchopoulos et Tahar Rahim. Comme si le projet tout entier avait ét� conçu dans le but de flatter les bas instincts du spectateur, plutôt que de miser sur son intelligence.
D'ailleurs, assez ironiquement, Elie Wajeman a emprunt� le titre d’une chanson de Léo Ferr�. Comme un acte manqu� renvoyant le spectateur vers une œuvre qui en dit plus sur l’anarchisme en trois minute que son film en 1h40. A réécouter d’urgence, avant, après� ou même � la place.