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The Assassin (Nie yin niang)

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 09.03.2016








« Ta technique est irréprochable mais ton âme reste prisonnière des sentiments. »

Hou Hsiao-Hsien nous avait prévenus : avec lui, il ne fallait pas s’attendre à un wuxia (œuvre ayant pour thème les aventures d’un « chevalier errant ») traditionnel. Et effectivement, il évacue rapidement l'intrigue et les codes du genre pour pouvoir se concentrer presque uniquement sur les aspects formels du film, à savoir l'identité visuelle, les choix de mise en scène et l'expérimentation d'une narration en creux, faite d'ellipses et d'esquisses.

Déconcertant et quasi mutique, The assassin nous perd ainsi entre les nombreux personnages qui se croisent et nous embrouille avec des enjeux politiques peu compréhensibles. Il faudra quasiment attendre le dernier tiers du film pour que le puzzle se reconstitue, et encore seulement par bribes. Il y a de quoi être frustré, sinon agacé.

Spectaculaire, le film l’est pourtant, mais d’une autre manière. Visuellement, déjà, puisque c’est un ravissement perpétuel. Aux premières séquences filmées dans un noir et blanc ultra-contrasté qui évoque des estampes à l’encre de chine succèdent des ambiances mordorées, des teintes pourpres, des clair-obscur délicats. Les costumes sont d’une beauté envoûtante tandis que les décors rivalisent de raffinement et d’éclat. Dans certains lieux, des tentures de soie suspendues au plafond flottent dans l’atmosphère et viennent à intervalles réguliers s’interposer entre la caméra et les personnages. Souvent, les protagonistes sont recadrés à l’intérieur du cadre, comme pour donner la sensation d’un tableau que l’on contemplerait à l’écran.

Il semble d’ailleurs toujours y avoir un moyen de nous rendre plus lointaine l’action, notamment en la filmant d’une grande distance ou au milieu des arbres qui dissimulent les mouvements. Quelques scènes de combat fulgurantes émaillent malgré tout le film, filmées avec une grâce tranquille dans des plans souvent larges et aérés, et principalement illustrées par des sons très réels comme le choc sourd des coups ou le sifflement du sang qui jaillit. Les personnages, eux aussi, nous demeurent opaques. On est pourtant bouleversé par la figure de cette femme assassin au destin maudit qui s’avère incapable de tuer. Il y a là une souffrance assez impalpable, une mélancolie communicative. L’interprétation très intériorisée de Shu Qi en fait un être fantomatique et insaisissable qui semble appartenir au royaume des morts plutôt qu’à celui des vivants. Elle devient une forme de personnage allégorique, somme de tous les « chevaliers errants » qui l’ont précédée. Comme l’intrigue du film, son histoire nous est racontée en creux, nous la laissant lointaine et étrangère, même sa beauté étant douloureuse.

Toutefois, la seule beauté des plans, des images et des protagonistes serait creuse si la recherche formelle de Hou Hsiao-Hsien ne s’étendait pas à toutes les dimensions du film, à commencer par la construction narrative qui semble retrancher les éléments les plus saillants de l’intrigue pour ne garder qu’une succession de moments flottants et dépouillés. Comme si l’on regardait un film de sabre sous LSD, éblouis par les couleurs et les sons, mais perdus dans la temporalité de l’histoire et incapables de déceler les rapports de conséquences entre les événements. Cette manière expérimentale de distordre le récit est à la fois captivante et déroutante, hermétique et sublime. Car lorsqu’il ne reste presque plus rien des rebondissements de l’intrigue, on est face à une allégorie de film, c’est-à-dire à un cinéma réduit à son essence la plus minimaliste. Si l’on osait, on pourrait presque dire que The assassin est un anti Mad Max Fury road, un objet sensoriel dépouillé et fascinant qui n’a besoin de rien d’autre que l’épure du cinéma pour exprimer toute la complexité de ce qu’il a à dire.

MpM



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