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Une histoire de fou

Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 11.11.2015


NE DÎTES PAS QUE CE GARÇON ÉTAIT FOU





« Le génocide a fait de nous des fous. Il n’y a qu’à travers lui qu’on existe. »

Film ambitieux, Une histoire de fou permet à Robert Guédiguian d’explorer les thèmes majeurs de sa filmographie et d’exposer sa vision du monde et de ses conflits. De Marseille à l’Arménie, de la guerre au pardon, des liens du sang et des liens du temps, le film est une fresque romanesque inspirée d’un fait réel : un attentat terroriste à Madrid au début des années 80 qui a failli coûter la vie à un passant, l’écrivain et journaliste José Antonio Gurriaran.

Historiquement, on ne peut que saluer le travail de mémoire qu’effectue le réalisateur, film après film. En abordant son film avec le génocide des Arméniens et le premier assassinat politique de ce qui deviendra l’Armée secrète de libération de l'Arménie, il pose la base de son récit : la négation d’un génocide et ses conséquences. On est en 1921. On croit que la première Guerre mondiale a été la « der des der ». Un certain Hitler fait ses premières conférences. Et un peuple, exilé, humilié, ne sait pas comment se remettre de l’horreur qu’il a vécu. Avec le procès d’un assassin, en Allemagne, le monde apprend l’horreur qui s’est déroulée aux frontières de l’Europe. 1,5 million de personnes déportées, 10% de survivants dans les camps de concentration… Le tribunal allemand innocente le meurtrier.

Ce prologue passionnant ne sera qu’une fondation. Le cinéaste nous transporte à la fin des années 1970, dans sa bonne ville de Marseille qui compte une grande communauté d’Arméniens. Deux générations ont passé depuis l’exode. Le terrorisme communautaire et idéologique est alors global en Europe : irlandais, basques, anarchistes, extrême-gauchistes… Il y a les intégrés et les intégristes. Le scénario prend le temps d’expliquer, avec fluidité, toutes les facettes du combat. Il romance le débat avec une histoire familiale, où chaque membre compose une opinion distincte. Le combat doit-il être terroriste ou humaniste ?

Cependant, en traitant à la fois du pardon, de la culpabilité, de la justice, de l’oubli, Robert Guédiguian ouvre son film à quelque chose de plus universel qui pourrait concerner tous les conflits, à l’instar d’un de ses autres film, L’Armée du crime. De la France au Liban, avec cette Arménie lointaine, qui hante chacun des protagonistes, il essaie d’explorer les ressors et les motivations que chacun peut avoir face à un crime. Mais, étrangement, si c’est bien la partie essentielle de son film, mélangeant à la fois le cinéma de Téchiné et celui des films noirs des années 70/80, ce n’est pas forcément la plus adroite.

La dialectique est trop prévisible (thèse, antithèse, synthèse). Chaque comédien campe son rôle tel qu’on s’y attend, sans varier d’un pouce. Le film cherche absolument le compromis, la réconciliation, la pacification des êtres. Guédiguian regarde dans le rétroviseur tout en cherchant une sortie. Il a choisi son camp, ce qu’on ne peut pas lui reprocher, soulignant l’absurdité du combat armé.

Aussi, c’est ailleurs que son Histoire de fou nous happe. Le récit des combattants et les complaintes des innocents ne passionnent guère une fois que nous comprenons le point de vue du réalisateur et la direction de son scénario. Sans sa mise en scène, efficace, presque froide à certains moments, ces aspects là du film nous ferait décrocher, d’autant qu’il est long et s'étire parfois dans sa seconde moitié.

Non, ce que l’on retient, c’est l’humain. Guédiguian maîtrise parfaitement les doutes de ses personnages, leurs regards et leurs gestes. Cette empathie est palpable et touchante. A hauteur d’Homme, son cinéma est presque anthropologique et accentue les contradictions de chacun, la difficulté à appréhender le monde tel qu’il est : violent, injuste, trop grand pour soi. C’est ainsi qu’il fait naître l’émotion, jusque dans la très belle séquence à Beyrouth avec la mère, son fils « criminel » et ce jeune homme « victime ». Ce trio amène ce qui sauve l’œuvre, inégale au final, trop classique à certains moments, ambitieuse à d’autres : un moment d’égarement où chacun oublie son rôle « officiel » pour n’être que des pantins manipulés par le destin dont il ne tire aucune des ficelles. Là, en effet, on se dit que la paix vaut mieux que la vengeance, que le lien du sang ne vaut aucun sang versé.

vincy



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