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Les combattants
Quinzaine des réalisateurs - Compétition
France / sortie le 20.08.2014
JUSQU’À CE QUE LA FIN DU MONDE NOUS SÉPARE
"- On fait quoi ?
- On survit, on s'adapte. C'est ce que tu voulais, non ?"
Dès la séquence d'ouverture, Les combattants est plac� sous le signe d'un certain décalage. Décalage entre l’image et le son, entre les situations et la manière dont elles sont appréhendées, entre ce que ressentent les personnages et ce qu’ils expriment. Ainsi, alors que c'est encore le noir � l'écran, une voix s'élève et énumère des prestations de cercueils. Cette voix-off en elle-même est déj� comique, alors qu’on ne connaît rien de son contexte. Puis l'image arrive, et l’on découvre deux jeunes hommes remettre abruptement en question la qualit� du bois utilisée par la sociét� de pompes funèbres, allant jusqu'� tâter les échantillons proposés. Le plan suivant les montre en train de scier des planches dont on imagine qu'elles serviront � construire un cercueil artisanal. Plus tard dans le film, on apprendra le fin mot de l'histoire concernant ce fameux cercueil.
Avec des scènes courtes, presque sèches, et des dialogues � l’avenant, Thomas Cailley crée d’emblée un univers singulier qui suscite l’intérêt et la curiosit�. Le réalisateur va droit au but, sans explications inutiles, et avec un sens de l’ellipse qui induit une certaine distance avec les personnages. On ne les voit jamais agir, mais on les retrouve systématiquement déj� dans le résultat de l’action, comme toujours en mouvement. De même, les dialogues très piquants, les répliques inattendues et même les situations prennent presque toujours le spectateur par surprise, contrepied de ce que l’on pourrait attendre. Dans une séquence nocturne, le personnage principal croise un panneau signalétique représentant un requin, et tente de le faire tomber. Aussitôt, un militaire apparaît : � je peux t’aider ?! �. On s’attend � ce qu’il le réprimande, mais au lieu de cela, il lui donne des conseils pour que ses coups aient une portée plus efficace, comme une métaphore hilarante de ce qu’est en train de devenir l’existence du jeune homme.
Ce décalage permanent entre une situation "classique" et une réaction atypique ne pourrait fonctionner sans une écriture très fine, toujours sur le fil, qui manie avec virtuosit� l’art de l’absurde et de l’ironie. Au service de ce scénario brillant, il fallait un duo d’acteurs � la hauteur, jamais dans la performance, mais au contraire dans la sincérit� la plus totale. Pari réussi avec Kévin Azaïs et son jeu tout en retenue, presque effac�, mais surtout avec une Adèle Haenel très physique, � la présence magnétique, et qui occupe presque tout l’écran... jusqu’à ce que les rôles s’inversent. Un duo étonnant mais auquel on croit sur toute la durée, et qui permet au film d’aller jusqu’au bout d’une démarche que l’on ne peut pas vraiment qualifier de radicale, mais incontestablement d’inhabituelle et de personnelle.
En plus de l’humour constant des dialogues et des situations, Les combattants propose en effet une vision cocasse de la manière dont se construit un couple, mais surtout une réflexion non dénuée d’ironie sur la sociét� contemporaine, univers hostile dans laquelle la survie ne va pas de soi. L’obsession macabre de Madeleine pour l’approche de la fin du monde rappelle ainsi � la fois les films post-apocalyptiques et les prédictions catastrophistes, mais souligne aussi l’instinct paradoxal qui pousse la jeune femme � se préparer pour une hypothétique apocalypse mais l’empêche de s’adapter dans la sociét� réelle.
Car au-del� d’une comédie (sentimentale et réussie), Thomas Caillet propose une observation satirique mais juste du mal ultra-contemporain qui consiste � ne pas se sentir bien dans son époque. Sans que cela soit jamais mentionn� (on l’a dit, le réalisateur ne s’embarrasse d’aucune explication), Les combattants semble ainsi la rencontre presque miraculeuse de deux âmes ultra-sensibles, un peu � côt� de leur vie (décalées, � l’image du film), qui trouvent enfin un interlocuteur susceptible de les accepter tels qu’ils sont. Une histoire d’amour pudique, doublée d’une très belle allégorie sur le mal-être d’une génération.
MpM
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