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Yves Saint Laurent de Jalil Lespert
Yves Saint Laurent sur Ecran Noir

 

Saint Laurent

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 01.10.2014


LE PARFUM SANS L’ESSENCE





« Tu n’as plus aucun contact avec le réel »

Ne comparons pas le biopic de Jalil Lespert, Yves Saint Laurent, avec ce docu-opéra de Bertrand Bonello, Saint Laurent. Bonello est à la haute couture ce que Lespert est au prêt-à-porter. Une œuvre moins accessible, plus exigeante, taillée pour un public moins large (on passe du 38 au 34, du multiplexe à la salle art et essai). La mise en scène est « simple, nette et précise », « comme un geste ».

Le Saint Laurent de Bonello est un opéra tragique construit comme un documentaire précis. Mais sa narration n’a rien de dramaturgique (nul enjeu), se reposant uniquement sur une esthétique qui dicte tout. C’est un euphémisme d’écrire que le cinéaste ne s’est pas facilité la tâche en soumettant son film à un impératif visuel et musical, sacrifiant les dialogues, l’explicatif, la psychologie. Le film apparaît alors comme un tableau impressionniste où, par petites touches, chaque séquence révèle la lente déchéance d’un génie précoce, d’un visionnaire sans rival, d’un homme heureux trop jeune.

Pourtant le cinéaste a cherché son inspiration ailleurs : dans Mondrian quand il fractionne l’image , comme un hommage à la collection inégalée du couturier ; dans Proust quand il observe les us et coutumes d’une élite de la mode coupée des réalités et de la société, trop occupée à magnifier la femme, à jouir librement, à collectionner tableaux et bibelots ; dans Warhol aussi quand il désincarne le personnage (interprété avec sensibilité et grâce par Gaspard Ulliel) en multipliant des scènes sans paroles, le transformant, comme Pierre Bergé, en « produit », dérivés en cosmétique et accessoires, soit trois initiales et un visage à lunettes.

Ainsi, Saint Laurent est un film somptueux, stylisé à l’extrême comme le furent les créations du couturier. Sorte de complément masculin (et homosexuel) à L’Apollonide. Ici aussi l’homme est enfermé : dans son bureau, dans les boîtes de nuit, dans son appartement. C’est également un film ennuyeux. Désespérément trop long, composé parfois de longs tunnels (la séquence affairiste entre Bergé et les Américains). Le cinéaste semble n’avoir construit ses plans que pour réaliser une succession de tours de force, mais pour prouver quoi ? Paradoxalement, on pouvait croire qu’on allait explorer les profondeurs des troubles du personnage. Mais Bonello reste en surface, captant le parfum d’une époque et de l’un de ses génies, sans en trouver son essence. N’est pas Wong Kar-wai qui veut.

C’est d’autant plus étrange que Bonello, délicat jusqu’à l’absolutisme, s’attarde sur les détails et refuse toute hagiographie. Du travail collectif des « petites mains » à la sexualité débridée de YSL, rien n’échappe au regard scrutateur du cinéaste. Il filme frontalement et sublime facilement son sujet. Hélas, au fil des années qui passent, rien ne nous fascine réellement dans cette descente aux enfers d’un homme seul (et pourtant si entouré), qui finira même isolé dans une cage dorée.
L’élégance et la grâce ne suffisent pas, au contraire, elles créent une distance presque froide, qui, en cela, est à l’image de l’homme dont Bonello « dessine » le portrait. Jamais la sensualité ne transperce l’écran pour nous atteindre. L’émotion est glacée. Même la chair semble triste. Seuls les vêtements paraissent en vie (le défilé final est sans aucun doute la séquence la plus éblouissante à cet égard).

Œuvre mortifère d’un homme dépendant de son compagnon, de ses employés, des médicaments, du calendrier, Saint Laurent, entre orgies, drogues et la Callas, se désagrège sous nos yeux. « J’ai créé un monstre et je dois vivre avec ». Mais déjà il est absent. Jamais là. Crépuscule d’un Dieu. On le croit même déjà mort. L’enfant gâté se sera détruit avec les seventies. Il a révolutionné la femme. Il n’a plus rien à prouver. Cette autodestruction (« Ce n’est peut-être plus qu’un parfum ») n’a rien d’extatique. Bonello a préféré réaliser un film énigmatique. YSL aimait tant le mystère. Mais il adorait aussi la légèreté et le film en manque singulièrement.

Ce n’est pas avec le biopic de Jalil Lespert qu’il faut comparer Saint Laurent mais avec le Mr. Turner de Mike Leigh. Bonello refuse les étapes obligatoires du film biographique, choisissant une autre voie : celle d’un portrait, dans la durée, d’où sortirait, à défaut d’une vérité, une envie de croire que l’art n’est pas mort, que le cinéma est encore un art, que Bonello/Saint Laurent a encore un avenir alors que d’autres formes audiovisuelles apparaissent, que des Jean-Paul Gaultier surgissent d’ailleurs envoyant YSL au musée, comme les photographes menaçaient la peinture de Turner.

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