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Ugly

Quinzaine des réalisateurs - Compétition



LES RIPOUX





«- Trempe moi, Rince moi, je te ferai l’essorage. »

Malgré quelques maladresses et facilités, Ugly est ce qu’il est : un polar jouissif, aussi âpre que violent, rock que rocambolesque. A partir d’un kidnapping d’une gamine en pleine ville, Anurag Kashyap tisse sa toile pour nous embarquer dans une plongée en enfer.
Côté références, on hésite entre Johnnie To et Shakespeare. Tout le monde est pourri dans ce royaume des égoïstes. Le cinéaste indien a le don pour imaginer des personnages ambivalents. On les croit victimes ? ils trahissent, tuent, mentent, trompent. On les croit salauds (pour ne pas dire tyrans) ? ils restent intègres ou sont simplement idiots. Tous sont rivaux et aucun ne cherche à se racheter. Ici on corrompt, on balance, on ne s’excuse même pas. Le pouvoir (sentimental ou légal) vaut bien quelques erreurs, quelques coups et pourquoi pas quelques balles.

Mais Ugly profite surtout du talent du réalisateur à morceler son récit entre différents points de vue ou époques, alterner les plans rapprochés et les plans larges, passer d’une musique quasiment « heavy metal » à un silence assourdissant. Il aime embrouiller le spectateur, refuse qu’on devine à l’avance l’issue de la tragédie, multiplie les rebondissements au gré des opportunismes ou des erreurs de chacun.
Ugly est un film noir, non dénué d’action et de suspens, où la torture est froide et l’abus de pouvoir la règle. Punchy, excessif, mais pas seulement. Losers ou autoritaires, dépressifs ou infidèles, les protagonistes donnent de la matière pour transformer une enquête en véritable course d’obstacles, mélangeant l’intérêt public et les intérêts personnels. On passe ainsi divers degrés de sensations face à tant de mauvais choix individuels et sans issue : révoltés, intrigués, abasourdis, consternés, stupéfaits, … Ugly accroche, et griffe un peu. C’est du brutal. A l’image des bidonvilles de Bombay où se déroule une partie du film, l’humanité a disparu. Tous des bêtes, bêtise incluse. Bavures et ordures font bon ménage.
L’ultime plan consacrera cette misère humaine. La désolation totale. Chacun a joué pour soi, et tous ont perdu.

Ce film de genre est une spirale infernale, qui montre que le cinéma indien peut-être moderne, un mix de divertissement, de réalité sociale et de dramaturgie classique, sans romance ni musiques joyeuses. Bien sûr, Kashyap remixe quelques codes : la musique appuie avec force une situation tendue, le mélo n’est pas loin dans ces liaisons périlleuses… Le présent est pathétique parce que le passé l’est aussi. Mais point de délivrance dans tout ce mic-mac de vengeances. Le montage final, rythmé et sans gras, le scénario gigogne, la photo sans faute de goût produisent un vrai plaisir pour les amateurs de sordide. Pour le reste, de folie en aveuglement, de tromperies en meurtres, l’histoire conduit au dégoût. L’innocence est saccagée par les égos et les démons de chacun. Ugly porte bien son titre : c’est la laideur humaine qui sert de moteur à ce brillant thriller.

vincy



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