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Djeca, Enfants de Sarajevo (Djeca)
Certain Regard
Bosnie / sortie le 20.03.2013
GUERRE ET PAYS
"On n’a pas grandi dans une cave, mais dans la guerre."
Foulard vissé sur le crâne, visage fermé et distant, Rahima est une guerrière. Une femme insaisissable implacablement retranchée derrière une carapace de dureté qui lui donne l’air perpétuellement sur la défensive. En la suivant dans son quotidien de labeur et d’humiliations, on comprend qu’elle n’a guère le choix. La jeune femme a beau faire de son mieux, ce n’est jamais assez. Et c’est comme si elle se battait, seule, contre des moulins à vent déguisés en assistante sociale condescendante, en nouveaux riches, en politiciens puissants, tous habitués à ce qu’on leur cède. Or, Rahima, elle, ne cède pas. Au mieux, elle patiente. Au pire, elle fonce dans le tas.
Aida Begic, dont on avait déjà apprécié le premier film, First snow, récompensé à la Semaine de la critique en 2008, se sert à nouveau d’un personnage féminin fort et solitaire pour dresser le portrait de son pays et, en creux, montrer les stigmates d’une guerre plus présente dans les esprits qu’il n’y paraît. Surtout pour ceux, comme Rahima, qui l’ont subie de plein fouet, orphelins privés de jeunesse et de repères. Car dans cette société bosniaque en pleine mutation, dans un après-guerre qui veut panser au plus vite ses blessures, les orphelins n’attirent aucune compassion, mais au contraire des moqueries et des quolibets. Stade ultime d’une dégénérescence sociale qui gangrène les plus hautes sphères de l’état. Ce n’est pas un hasard si la jeune femme est confrontée à un ministre libidineux sur lequel planent des soupçons de corruption.
Pas un hasard non plus si sa seule défense, face à un monde qui l’exclut, est de se replier sur elle-même et de se dissimuler derrière un voile strict, uniquement préoccupée du sort de son jeune frère, à qui elle veut épargner de connaître le même destin qu’elle. "C’est pas parce que tu es voilée que tu es morte" lui dit celui-ci. Et c’est vrai que Rahima donne l’impression de s’enterrer vivante, de se "libérer de la vie" comme elle le dit froidement.
Même si Aida Begic force un peu le trait, parfois maladroite dans sa manière d’accumuler les épreuves (convenues) sur les épaules de son héroïne, son constat n’en est pas moins saisissant. Au-delà du parcours personnel de la jeune femme, elle montre en effet un pays à la dérive, ballotté comme elle entre un passé insupportable et un avenir vide d’espoir. Sans doute est-ce pour cela que la réalisatrice peine à trouver une issue pour ses personnages, imaginant une fin ambiguë, avec de faux airs de happy end, tout en laissant consciencieusement planer la sensation qu’il s’agit seulement d’une parenthèse avant le chaos. Et d’ailleurs, qui pourrait dire ce qu’il adviendra réellement de la jeune femme et, par extension, du pays dont elle est (un peu commodément) le symbole ?
MpM
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