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Mon bonheur (Schastye Moe - My Joy)

Sélection officielle - Compétition



LA POURSUITE DU MALHEUR





"Le bonheur, c'est d'avoir une femme, un boulot et de l'argent."

Enorme sentiment de ratage pour ce premier film de fiction du documentariste ukrainien Sergei Loznitsa qui commence quasiment comme un chef d'oeuvre et s'achève dans l'outrance et la bêtise. Dès la séquence d'ouverture, on est saisi par la précision et l'aisance de la mise en scène. Des hommes préparent du béton, le coulent, jettent Un corps dedans. Pour finir, la caméra, qui filme en contre-plongée depuis le trou, est recouverte en un rien de temps par de la terre, qui envahit tout l'écran. Puis commence le générique. Cela continue ainsi pendant environ une heure, avec une alternance de plans larges et rapprochés, jeux sur la profondeur de champ et caméra subjective qui offrent une grande richesse visuelle. Il joue également avec les tonalités de couleur au cours de deux très beaux flash-backs, bien amenés, et qui constituent à eux seuls des petites histoires indépendantes à l'intérieur de la grande.

On est donc au départ sous le charme de ce road-movie atypique (et plutôt cocasse) dans la campagne russe. Georgy, le personnage principal, fait preuve d'un indéniable sens de l'humour et d'une philosophie de vie qui lui permet d'être à l'écoute des autres. D'abord un vétéran qui lui raconte son histoire, puis une adolescente prostituée rencontrée sur la route. Il y a également des paumés à l'affût d'un mauvais coup et un autre routier qui le met de manière prémonitoire en garde contre le fait de se mêler des affaires des autres.

C'est pourtant ce que fait le camionneur, qui se prenant pour un bon samaritain, essaye de sauver la jeune prostituée, et s'égare sur un chemin de traverse qui lui sera fatal. A lui, mais aussi au film. Car un incident survient après un peu plus d'une heure de film qui fait basculer Mon bonheur dans la fable grotesque et caricaturale. A trop vouloir dénoncer la corruption et la déliquescence de son pays, Loznitsa force le trait avec des policiers odieusement corrompus, des soldats dépourvus d'honneur, en bref des actes de malveillance à chaque coin de rue. Plusieurs séquences sont même purement gratuites. Ce qui entache définitivement la dénonciation virulente que Loznista cherchait probablement à faire.

La morale de l'histoire, c'est en effet qu'il ne faut pas quitter les sentiers battus, c'est-à-dire sortir de son rôle social, et surtout ne pas se mêler de la vie des autres. Même si c'est dans le but de les aider. Car il ne reste plus aucun espoir, et toute tentative pour améliorer les choses ne peut que se conclure par un échec, voire une tragédie, comme c'est le cas ici (on nous avait prévenu : les marais et ses habitants sont maudits). On comprend bien le but poursuivi par le réalisateur en dressant un portrait aussi apocalyptique de la Russie moderne (individualisme forcené, corruption, recours systématique à la violence, misère, censure...) Il montre notamment que rester silencieux (face à l'injustice, par exemple) et se contenter des "trois ingrédients principaux du bonheur" (une femme, un travail, de l'argent, c'est-à-dire des éléments purement matérialistes) est le seul moyen de rester en vie. C'est d'ailleurs tout ce que l'on peut souhaiter dans la vie, le reste correspondant à plus ou moins long terme à une condamnation à mort. Or si l'intention est louable, les maladresses et les défauts concentrés dans la dernière partie du film donnent par moments l'impression qu'au lieu de dénoncer cet état de fait, Loznitsa l'encourage...

Toutefois, quelles que soient les réticences que l'on puisse avoir sur Mon bonheur, le cinéaste ukrainien est paradoxalement l'une des découvertes prometteuses de ce 63e festival de Cannes. Avec son ton très personnel et ses qualités de mise en scène (dans la droite ligne du cinéma russe), il offre en effet un cinéma décomplexé et engagé relativement plus excitant que la plupart des oeuvres bien "léchées" mais fades rencontrées ici ou là.

MpM



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